«J'ai voulu faire un métier où tout le monde saurait mon nom», m'annonce à brûle-pourpoint celle dont le nom est désormais aussi connu que Barabbas dans la Passion : Denise Bombardier, alias Madame B, alias la Bombarde.

C'était hier après-midi, entre les livres anciens, les meubles Art déco et les divans en velours bleu ciel et jaune safran de son immense loft au pied du mont Royal. Denise Bombardier portait pour l'occasion un jean orange pétant qui contrastait avec ses planchers et ses murs repeints en blanc. La veille, elle avait lancé Une vie sans peur et sans regret, une brique autobiographique de 459 pages, en présence du gratin montréalais où, hormis Brian Mulroney, les politiciens brillaient par leur absence. Et l'avant-veille, elle avait fait un passage remarqué à Tout le monde en parle où elle avait remis Jean Chrétien à sa place avant de faire rager les francophones hors Québec dont elle a prédit la disparition.

Avait-elle depuis fait amende honorable? «Absolument pas! répond-elle. Ce n'est pas de ma faute si les francophones hors Québec sont en train de disparaître. Il n'y a pas si longtemps, il y avait 150 000 francophones au Manitoba. Ils ne sont plus que 43 000! En plus, ils vivent dans un Canada nouveau où tous - Chinois, Indiens, Ukrainiens - veulent que leur langue soit en vedette et se fichent du français, alors je suis désolée pour eux, mais je n'ai pas à me dédire!»

Fierté et pudeur

Aujourd'hui comme hier, Denise ne regrette pas ses propos. Tout comme elle ne regrette rien de sa vie. Vraiment rien? Catégorique, elle confirme : «Rien de rien. Qu'est-ce qu'il y a à regretter? J'ai un mari à faire rêver, un fils admirable, une petite-fille que j'adore.»

C'est pour toutes ces raisons que Denise est de bonne humeur. «Et contente de ces Mémoires que j'ai écrits moi-même, contrairement à bien des biographies écrites par d'autres que ceux dont il est question, où les gens ne disent rien et se contentent de raconter leur vie en y plaquant des faits historiques.»

«Moi, ce que j'ai écrit, je l'ai vécu.» 

Pour le vécu de Madame B, il n'y a aucun doute. Militante pour le R.I.N. alors qu'elle étudiait à l'Université de Montréal, recrutée à la télé publique où elle deviendra une animatrice vedette du temps de Trudeau et de Lévesque, adoubée à Paris dès la parution de son premier livre, un essai critique sur la télé publique française, Denise Bombardier a été aux premières loges d'évènements marquants tout au long de sa carrière.

Reste qu'avant la parution de ses Mémoires, des rumeurs de toutes sortes circulaient, non pas sur ses faits d'armes en journalisme, mais sur le côté croustillant, voire explosif de ses amours, notamment avec Lucien Bouchard.

Or, pour le croustillant, il faudra repasser. Denise Bombardier a beau être exubérante et limite exhibitionniste sur un plateau de télé, n'hésitant pas à vanter son pouvoir de séduction et à évoquer l'abondance de ses conquêtes, ses Mémoires sont d'une étonnante pudeur. On n'y lit rien de compromettant ni même de vraiment intime, y compris sur son aventure de six mois avec Lucien Bouchard à l'époque où il était ambassadeur du Canada à Paris.

«Mais qu'est-ce que tu crois, je suis pudique! Je n'ai pas eu une vie amoureuse dévoyée. Je suis straight, moi. Moi, c'est à deux que ça se passe, pas à trois! Et puis je ne vais quand même pas livrer les détails de ma vie sexuelle», s'écrie-t-elle en sachant très bien que je ne parle pas de sexe, mais d'abandon et d'une certaine honnêteté intellectuelle envers elle-même et ses lecteurs.

Une enfance difficile

Ses plus grands moments d'abandon, Bombardier les livre dans les passages sur son enfance à l'eau bénite, décrivant sa famille comme une terrifiante maison de fous menée par une mère victime d'un mari monstrueux et cruel.

Les descriptions de ce père anticlérical et anti-Québec qui boit pour se soûler, qui coupe le chauffage par pure avarice et qui traite ses enfants de «tabarnaks» et de «p'tits crisses» donnent froid dans le dos.

Un tel monstre a-t-il vraiment existé ou est-il le fruit de l'imagination débordante de sa fille aînée? Denise jure qu'elle n'a rien noirci ni exagéré.

«Mais qu'on me comprenne bien, mon père n'était pas un abuseur sexuel. Il ne nous a jamais touchés, jamais battus, ma soeur, mon frère et moi. Mais il aurait pu nous tuer, ça oui!»

Ce père déséquilibré dont elle tait le prénom - Jean-Louis - ne l'a jamais appelée Denise, ni rien en somme, d'où son besoin de faire un métier où tout le monde saurait son nom.

«Je n'ai pas essayé de comprendre d'où venait son angoisse, tout comme je n'ai pas compris comment j'ai su très jeune que notre maison n'était pas la norme et qu'il fallait que je m'en échappe pour ne pas devenir folle», dit-elle subitement émue, en contenant mal ses larmes.

Les hommes de sa vie

Aussi monstrueux fût-il, Jean-Louis Bombardier n'a pas réussi à dégoûter sa fille des hommes. Tout le contraire. Ceux qui ont traversé sa vie - Jacques, son premier mari, H, l'abbé qui a défroqué pour elle, le réalisateur Claude Sylvestre, le père de son fils Guillaume, l'avocat André Joli-Coeur, Jim, l'homme miracle et même Lucien Bouchard - ont tous droit dans ses Mémoires à ses mots bienveillants. Tous sauf deux hommes, qui n'ont pas été des amants, mais des collaborateurs professionnels : d'abord le réalisateur de Radio-Canada qui l'a engagée à 12 ans pour une émission pour enfants du samedi et qui, un jour, l'a coincée entre deux portes pour lui faire des attouchements. Elle se contente de le nommer R de V, ne révélant pas son nom, au cas où il aurait encore de la famille en vie. Le seul autre à subir ses foudres est l'animateur Simon Durivage avec qui elle a coanimé Le Point pendant un an et qu'elle traîne dans la boue avec vengeance, le traitant d'être grossier, vulgaire, pour ne pas dire de gros dégueulasse.

Pourquoi lui et pourquoi tant d'acrimonie? Elle répond que c'est un acte de justice qu'elle fait au nom de tous les collaborateurs et assistants que l'animateur aurait «écoeurés» pendant sa carrière. «Aujourd'hui, des comportements comme il en avait, ça ne passerait plus», affirme-t-elle avant de revenir sur le langage ordurier de l'animateur qui lui rappelait celui de son père. «Le lien, il est là», lance-t-elle, le regard lourd.

Bienveillante pour les hommes de sa vie, Denise l'est pour elle-même, racontant longuement ses succès professionnels au Québec comme en France, ses faits d'armes, ses amitiés en haut lieu, ses prix, ses médailles et tout ce qui l'a encouragée à avoir une haute estime d'elle-même.

Quiconque connaît moindrement Denise Bombardier comprendra vite que celle qui tient la plume ne me dit pas tout et choisit de taire des aspects moins reluisants de sa vie. Ce qui est son droit le plus strict.

Denise Bombardier voulait faire un métier où tout le monde saurait son nom. Elle a réussi sur toute la ligne, mais ce n'est pas parce qu'on sait son nom et qu'on l'admire qu'on croit toujours tout ce qu'elle écrit.

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Une vie sans peur et sans regret

Denise Bombardier

Plon

459 pages