C'est donc aujourd'hui le grand jour. Le jour J d'un mariage princier pas tout à fait comme les autres, puisqu'il met en scène Harry, le dernier des fils de Diana, convolant en justes noces avec Meghan Markle, une actrice d'Hollywood divorcée, métisse, féministe et de deux ans son aînée. La dernière fois qu'une telle chose est arrivée ? Jamais. Jamais une roturière divorcée, métisse ou non, actrice, avocate ou apicultrice, ne fut admise comme membre de la famille royale.

La dernière qui s'est essayée - une certaine Wallis Simpson - a amené son futur époux, Édouard VIII, à abdiquer le trône par amour pour elle.

Mais revenons à Harry et à Meghan qui, à cette heure-ci, sont déjà mariés, bénis, applaudis et en train de célébrer un moment historique de leur nouvelle vie.

Des rivières d'encre et des millions de pixels ont déjà été dépensés au nom de cette union étonnante entre Hollywood et la monarchie britannique. Et ce qui semble faire l'unanimité, c'est que cette union est une excellente nouvelle pour Harry, l'ex-ivrogne dépressif qui a fait les 400 coups au point de se retrouver un matin tout nu dans le couloir d'un hôtel à Vegas, avant de décider de se ranger et de devenir un bon garçon, sérieux et responsable.

C'est aussi une excellente nouvelle pour la monarchie britannique postcoloniale qui, grâce à Meghan Markle, projette désormais une image d'ouverture, de souplesse, de tolérance et de modernité malgré son lourd passé de rigidité sociale.

Il reste la dernière pièce de l'équation : la nouvelle mariée elle-même qui, dans un ironique revirement de situation, a fait comme Édouard VIII, renonçant à tout ce qui avait constitué sa vie jusqu'à maintenant - son métier, son indépendance, sa liberté, sans oublier son féminisme - pour épouser un prince.

Plusieurs observateurs croient qu'elle est la perdante de l'histoire, qu'elle vient en quelque sorte de signer, sinon son arrêt de mort, du moins sa condamnation à la prison à perpétuité, dans une cage dorée certes, mais cage tout de même.

Pour ma part, je crois le contraire.

Je crois en effet que la belle Meghan vient de réaliser le meilleur coup de sa vie et que ce qui l'attend, ce n'est pas tant la prison que l'occasion unique et inespérée d'accéder au statut mythique de symbole et de devenir une des femmes les plus connues de la planète.

Je n'affirme pas cela gratuitement, mais après avoir lu Meghan : une princesse d'Hollywood, la bio somnifère mais néanmoins éclairante d'Andrew Morton, qui m'a aussi permis de prendre connaissance de qui était Meghan avant que la monarchie n'entre par effraction dans sa vie.

En fait, « effraction » n'est pas la bonne expression pour décrire l'appel de phares secret et les douces manigances qui ont probablement mené à ce premier rendez-vous arrangé entre Harry et Meghan, le 1er juillet 2016, au chic Soho House de Londres. Qu'on ne vienne pas me dire que c'est un pur hasard si des amis communs les ont mis en contact et que Meghan, déesse de l'organisation et championne des relations publiques, n'a pas télécommandé la rencontre, avec l'aide d'alliés bienveillants.

Il reste qu'avant de lier son destin à celui du prince Harry, Meghan n'était pas très différente d'une flopée d'actrices d'Hollywood aux grandes ambitions et aux rêves déçus.

Certes, elle avait d'autres atouts : notamment un diplôme universitaire en théâtre et en études internationales de l'Université Northwestern de Chicago et un penchant pour l'engagement humanitaire et féministe, hérité de sa mère Doria Ragland.

Pour ce qui est de l'actrice, le portrait était plutôt ordinaire. On a beau répéter qu'elle était une vedette du petit écran grâce à Suits, cette série télé n'en demeure pas moins une série parmi d'autres. Quant à ses faits d'armes avant Suits, ils étaient minces. Meghan a été une porteuse de valises dans la version originale américaine du Banquier. Elle a surtout été une spécialiste de la figuration intelligente et des petits rôles dans plusieurs navets et au moins deux téléfilms de la chaîne Hallmark.

Elle tenait même un blogue anonyme - The Working Actress - qui documentait ses déboires et racontait comment chaque audition ratée l'envoyait en larmes au lit avec une bouteille de vin et une boîte de biscuits.

Quand elle a fini par décrocher un premier rôle dans Suits après des centaines d'auditions, elle a fermé son blogue pour se défaire de son image d'actrice qui en arrache. Autant dire que ce n'est pas d'hier que la dame soigne son image et saute sur les occasions lorsqu'elles passent.

Fine fleur et pur produit de l'époque numérique, elle n'a pas tardé à lancer un site d'art de vivre - The Tig -, sans doute inspiré par le site Goop de Gwyneth Paltrow. Elle gagnait bien sa vie, mais, à 36 ans, sans grand rôle marquant sauf celui dans Suits qui ne serait pas éternel, ses perspectives d'avenir dans un milieu compétitif qui carbure à la jeunesse n'étaient pas immenses. Il y avait bien sûr son engagement humanitaire à l'ONU qui a culminé par un discours à la Tribune des femmes applaudi par Ban Ki-moon et par Hillary Clinton. Sauf que selon Andrew Morton, « une fois qu'elle a été nommée officiellement porte-parole, il semblerait que son action humanitaire à l'ONU se soit considérablement étiolée ».

Ceux qui croient que Meghan a fait de grands sacrifices en renonçant au métier d'actrice et à sa vie de femme libre ont tout faux.

D'abord, pourquoi se contenter d'être une simple actrice quand on peut accéder à la royauté et peut-être même devenir la princesse des coeurs.

En épousant le prince Harry, Meghan vient, au fond, de décrocher le plus grand rôle de sa carrière. Elle n'aura aucune difficulté à affronter la lumière des projecteurs. Elle pourra même s'en servir pour défendre les causes humanitaires auxquelles elle tient. Elle n'aura aucun souci d'argent. Elle passera le reste de sa vie à se faire servir et, même si les soupers avec la famille royale sont mortifères, elle pourra prendre le prétexte d'un voyage autour du monde pour les éviter.

Plusieurs commentateurs voient Meghan comme l'héritière de Lady Di. Ils ont bien raison, à quelques nuances près. Meghan n'a pas 20 ans comme la timide princesse à ses débuts. Elle a déjà toute une expérience de vie derrière elle. Et puis, contrairement à Diana, elle sait exactement dans quoi elle s'embarque. Même qu'il y a fort à parier qu'elle n'en demandait pas moins.

Photo Alastair Grant, La Presse canadienne

Le prince Harry et sa fiancée, Meghan Markle, qui devient sa femme aujourd'hui.