J'espère que vous ne m'en voudrez pas. Et que vous n'allez pas m'accuser de traîtrise comme c'est arrivé au pauvre Ashton Eaton. L'athlète américain, champion du décathlon et, selon Vogue, futur Bruce Jenner de Rio, a eu le malheur de porter une casquette aux couleurs du Canada. C'était pour encourager sa femme Brianne Theisen-Eaton au saut en longueur de l'heptathlon le week-end dernier. Le bronze sur la médaille de son épouse était à peine sec que le «traître» subissait les foudres de ses compatriotes, amateurs d'heptathlon, un nom qui sonne, à mes oreilles du moins, plus comme le nom d'une maladie que comme celui d'une discipline olympique. Mais je m'égare.

Ce dont je veux vous entretenir, aujourd'hui, ne porte pas tant sur la traîtrise que le patriotisme tonitruant qui accompagne chaque discipline olympique et qui force chaque spectateur à rester dans son camp (ou pays) et à ne jamais prendre pour le voisin.

C'est normal, je le sais. Normal que le Canada s'emballe pour Penny Oleksiak ou Andre De Grasse. Normal que les gens de Radio-Canada et de RDS ne se passionnent que pour les victoires, les défaites et les déceptions des athlètes qui nous représentent à Rio. Je ne m'en plains pas. Vraiment pas. Mais le monde est vaste et le spectacle olympique, peuplé de toutes sortes de champions.

On peut triper à mort sur l'heptathlon, le 100 m ou même sur cette toute nouvelle discipline de quatre lettres: le golf.

Pour ma part, la discipline qui me fascine le plus, c'est la gymnastique féminine.

Les Jeux de 76 à Montréal sont très certainement la source de ma fascination tout comme le 10 sur 10 de l'inoubliable Nadia Comaneci.

Or, corrigez-moi si je me trompe, mais depuis 1976, personne n'a vraiment remplacé Nadia. Oui, bien sûr, il y en a eu quelques autres, mais au bout du compte, aucune n'avait le talent, la précision et le charisme combinés de Nadia. Personne, avant la reine Simone.

Je parle de cette prodigieuse Simone Biles, celle qui du haut de ses 19 ans et 4 pi 9 po, ne fait pas tant de la gymnastique que de la haute voltige, du vol plané et de l'acrobatie aérienne, que ce soit au sol, sur les barres asymétriques, sur la poutre ou à la table de saut. Et qui le fait toujours avec un immense sourire.

Histoire digne du rêve américain

Les Américains sont fous de Simone Biles. Et pour cause. Non seulement est-elle d'une précision foudroyante et d'une puissance physique redoutable, cette puce atomique, comme la surnomment les journalistes de L'Équipe, semble propulsée par un réacteur de jet.

Comble du bonheur, son histoire est une histoire digne du rêve américain. Vous savez, ce rêve impossible qui triomphe des pires inégalités et des pires calamités. Et Dieu sait si au chapitre du pire, Simone n'a pas été épargnée.

Car, contrairement à notre Penny Oleksiak, Simone Biles ne vient pas d'une famille fonctionnelle et unie. Pas plus qu'elle n'est née avec une cuillère d'argent dans la bouche. S'il y a une cuillère dans son histoire, elle appartenait à sa mère toxico qui y faisait chauffer sa poudre ou son crack. À l'âge de 3 ans, Simone a été retirée de la garde de sa mère avec sa soeur Adria. 

Les grands-parents maternels, Ronald et Nellie Biles, ont provisoirement hérité des deux fillettes. Puis, après un retour malheureux auprès de leur mère, Simone et Adria ont été officiellement adoptées par les grands-parents. Simone avait 5 ou 6 ans. C'est à peu près à cette époque que pendant une sortie de groupe, un moniteur a remarqué que la petite Simone était particulièrement douée pour les sauts et les pirouettes. Le reste, comme on dit, appartient à la petite et grande histoire de la gymnastique.

Collection de médailles

Membre de l'équipe américaine depuis 2011, Simone Biles n'a cessé de multiplier les exploits et de collectionner les médailles dans tous les championnats du monde. Elle détient actuellement 3 médailles de bronze, 2 médailles d'argent et 13 médailles d'or, dont les 3 dernières à Rio. L'or lui a échappé hier à l'épreuve de la poutre où elle a fait quelques erreurs, mais elle est quand même repartie avec le bronze.

Pas étonnant que les commanditaires se pressent à ses pieds pour qu'elle endosse leur marque. Que le magazine Time l'ait mise sur sa page couverture pour son numéro olympique et qu'elle compte parmi ses admirateurs l'astronaute Buzz Aldrin, la chanteuse Lady Gaga, l'acteur Zac Efron et même Kim Kardashian, qui lui a envoyé un mot d'encouragement avant son départ pour Rio.

Seul le magazine Vogue semble ignorer qu'elle existe. Simone est en effet absente du numéro d'août consacré aux athlètes américains. J'espère que l'éditrice Anna Wintour s'en mord les doigts.

En attendant, la reine Simone a entrepris mardi l'épreuve finale de gymnastique au sol, une discipline où elle excelle.

J'espère que vous ne m'en voudrez pas, mais même si Simone vient du pays de Donald Trump plutôt que de la patrie de Justin Trudeau, aujourd'hui encore, c'est pour elle que j'ai pris.