La bonne nouvelle, c'est que la Société Radio-Canada n'abandonnera pas le quartier qu'elle a à moitié rasé pour s'y établir il y a plus de 40 ans. La moins bonne nouvelle, c'est que Radio-Canada va quitter sa célèbre tour que se disputent actuellement quatre acheteurs potentiels, pour déménager dans plus petit.

Beaucoup plus petit. Comme dans le film Chérie, j'ai réduit les enfants. Ou, mieux encore, comme dans la pub des Assurances Promutuel. Vous savez, cette pub où on voit un couple faussement jovialiste s'extasier au milieu de sa nouvelle minuscule maison, du fait que l'unique placard de rangement a la taille d'une boîte à gants, que les plafonds dans la cuisine sont tellement bas qu'on doit y marcher la tête penchée et que la lumière du jour peine à se faufiler à travers une fenêtre en forme de fente.

À Radio-Canada, le temps des grandes ambitions et des grandes tours pour les contenir est désormais révolu. Aujourd'hui et pour les années à venir, c'est le règne de la simplicité volontaire, du « downsizing », comme disent les Chinois.

En quittant la tour pour migrer vers le nouvel édifice qui devrait voir le jour en 2019, à l'intersection du boulevard René-Lévesque et de l'avenue Papineau, les employés du diffuseur public vont passer de 1,5 million de pieds carrés à 400 000 pieds carrés et de 23 étages à environ 6 ou 7 étages. C'est du moins ce que m'a expliqué Louis Lalande, vice-président principal des services français. Il m'a aussi affirmé que les employés n'allaient pas déménager dans une binerie ni dans une boîte d'allumettes. Non, madame. La nouvelle Maison de Radio-Canada, au dire du vice-président, ne manquera pas de facteur wow.

Disons que cette dernière information atténue un peu l'aspect réducteur... de la diminution d'espace, mais je m'interroge malgré tout sur ce fameux facteur wow. Selon Louis Lalande, deux entrepreneurs sont sur les rangs pour la construction de la nouvelle maison. Il s'agit des firmes Broccolini et Pomerleau. Le gagnant sera en principe annoncé l'automne prochain.

Est-ce que je vois un problème ici ? Oui. Pourquoi ? Parce que les architectes seront choisis à la fin du processus par la firme gagnante. C'est dire que les architectes viendront en dernier et qu'ils feront ce qu'on leur demande.

Radio-Canada aurait pu prendre la décision contraire. C'est-à-dire, faire d'abord appel à des architectes, lesquels auraient imaginé une nouvelle maison avant de soumettre leurs plans à un entrepreneur. Mais Radio-Canada a préféré l'approche entrepreneuriale, celle qui se préoccupe des coûts avant tout et qui se soucie de style, de caractère et d'esthétisme en dernier, et encore.

C'est très dommage. Selon l'architecte Gilles Saucier, à qui l'on doit notamment le magnifique et très inspirant Stade de soccer de Montréal, cette nouvelle maison de la radiodiffusion est l'occasion rêvée de réparer en partie les erreurs du passé. De les réparer, architecturalement parlant, en créant une sorte de synergie visuelle entre la nouvelle maison, le quartier environnant, l'ancienne tour et, plus loin dans le même axe, le nouveau CHUM. Mais pour cela, il aurait fallu une commande architecturale claire, commande qui n'a jamais été voulue ou demandée.

Non pas que Pomerleau et Broccolini soient de vulgaires tâcherons qui fabriquent des boîtes de tôle. Sur leurs sites respectifs, on peut admirer la quantité industrielle de projets que les deux concurrents ont réalisés. Dans la section tours de bureaux, il y a de part et d'autre plusieurs jolis édifices modernes bien faits, mais rien qui frappe l'imaginaire ou qui se démarque de l'ordinaire. Rien qui annonce que l'édifice devant vous est un phare, un pilier, une signature qui s'élève dans le ciel et transforme le paysage.

Or, il me semble que cette nouvelle Maison de Radio-Canada mérite mieux qu'un joli bâtiment carré ou rectangulaire tapissé de plexi et de verre.

D'autant que cet édifice doit signaler que ce n'est pas la fin de Radio-Canada. Que non ! C'est le début d'un temps nouveau et d'une nouvelle ère, résolument tournée vers un avenir qui est censé durer longtemps.

Louis Lalande m'assure que les valeurs qui primeront à l'intérieur de l'édifice seront l'ouverture, la transparence, le décloisonnement. Les studios de radio auront pour la plupart des fenêtres permettant aux animateurs d'être en phase avec l'humeur météorologique de la ville. Il y aura un nouveau studio 42, qui sera multifonctionnel et flexible et dont les bancs ne seront pas vissés dans le béton comme pour l'actuel studio 42.

Pas de doute : l'intérieur de la nouvelle maison sera beaucoup mieux adapté aux besoins du diffuseur et de ses employés. Mais l'intérieur est une chose, l'extérieur, une autre. Or une fois de plus, c'est l'aspect le plus négligé du dossier. Une fois de plus, l'architecture ne compte pas vraiment, considérée par les uns comme un caprice et par les autres comme une dépense luxueuse et superflue.

Je pensais pourtant qu'à ce chapitre, les mentalités avaient évolué et qu'une sensibilité aux architectes et à l'architecture était en train de se répandre à la grandeur de la métropole. Mais il va falloir prendre son mal en patience ou alors allumer des centaines de lampions à l'oratoire Saint-Joseph pour que les mentalités à cet égard changent vraiment.

En 1989, un peu moins de 20 ans après l'inauguration de la grande tour, l'architecte Claude Bergeron avait écrit au sujet de la Maison de Radio-Canada, plantée au milieu d'un immense stationnement : « C'est la banlieue venue célébrer son triomphe en plein centre-ville. Au lieu de contribuer à la structuration de l'espace urbain, cet édifice le nie. » Des propos critiques mais justifiés. Souhaitons qu'ils ne se révèlent pas à nouveau vrais, avec la nouvelle maison, à l'angle de René-Lévesque et de Papineau.