Il y a les fous de Dieu, les fous du baseball et les fous de Montréal. Mitch Garber appartient résolument aux deux dernières catégories.

Il y a seulement quelques mois, le natif de Côte-Saint-Luc était un pur inconnu pour le grand public d'ici. Il avait beau être un des hommes d'affaires les plus prospères de la ville, frayer avec les Guy Laliberté et René Angélil de ce monde, voyager en jet privé et valoir quelque 200 millions de dollars, son nom n'avait jamais résonné au-delà d'un cercle restreint d'initiés et de connaissances aussi nanties que lui.

L'émission Dans l'oeil du dragon, qui est revenue pour une quatrième saison le 6 avril, a brusquement bousculé cet ordre établi. Dès la première émission, l'Anglo-Montréalais affable de 50 ans, qui a déjà eu une carrière de commentateur sportif sur les ondes de CFCF, a charmé le public et les critiques avec son sourire rayonnant, ses remarques drôles et pertinentes et ses chemises blanches.

Mais c'est surtout son passage à Tout le monde en parle, et sa déclaration fracassante sur le mauvais sens des affaires de Pierre Karl Péladeau, qui a changé les choses et marqué les esprits.

«Ç'a été un véritable tsunami de réactions, dit-il. Probablement parce que c'est rare qu'un homme d'affaires en critique un autre. En même temps, je me sentais bien placé pour le faire puisque je suis moi-même dans les affaires. J'ai provoqué un débat et c'est tant mieux. C'est ça, la démocratie», lance joyeusement celui qui, depuis, est devenu président du conseil d'administration du Cirque du Soleil vendu à la firme d'investissement TPG.

Bref, après 50 ans d'anonymat dans la ville qui l'a vu naître, Mitch Garber vient en quelque sorte de mettre au monde son image publique.

Charme et simplicité

Quelques jours après l'annonce de la vente du Cirque du Soleil, il m'a reçue au milieu de la cage de verre qui lui tient lieu de bureau, rue Peel, au siège social de Caesars Interactive Entertainment, l'une des plus grosses entreprises au monde de jeux en ligne, qui appartient en partie à TPG.

Ce jour-là, il portait encore sa sempiternelle chemise d'un blanc éclatant dont il doit avoir des douzaines d'exemplaires dans son placard. Mais ce qui m'a le plus frappée, c'est le charme et la simplicité qui se dégagent de cet homme pas très grand au teint hâlé de sportif perpétuel.

Pourtant, avant de le rencontrer, je me méfiais un peu. J'avais lu sur le site d'Online Gambling News que Mitch Garber avait l'habitude de jeter de la poudre aux yeux et d'être un peu fabulateur sur les bords. Mais dès les premiers instants de la rencontre, son absence totale de prétention a fait fondre mes doutes. Sans compter que certains faits biographiques de son parcours plaident en sa faveur.

Voilà en effet un homme qui n'avait aucune raison de revenir vivre à Montréal après avoir commencé sa carrière dans la gestion du jeu en ligne à Londres, puis à Tel-Aviv, où il a été basé pendant 10 ans. À titre de PDG de l'entreprise Partygaming, il faisait un salaire annuel de 17 millions et ne payait pratiquement pas d'impôts, ce qui n'est pas tout à fait le cas à Montréal.

Voilà surtout un homme pour qui Montréal fut longtemps synonyme de manque d'argent, de faillites et de calamités familiales. Son père Steve Garber était un entrepreneur en restauration, qui a ouvert le Rib'N Reef, puis le Pizza Pan avant de lancer le Jockey Club au Westmount Square.

Manque de chance, cette dernière aventure l'a mené à la faillite. Millionnaire à 26 ans, Steve Garber était ruiné à 33 ans et s'est suicidé à 46 ans. Son fils Mitch avait 23 ans à l'époque et une envie folle et irrépressible de faire de l'argent. Beaucoup d'argent.

«Pour mon père, l'important, c'était que j'aie une bonne éducation: celle que lui n'avait pas eue. Pour moi, l'important, c'était de devenir riche, tellement riche que je serais à l'abri des soucis financiers qui ont eu raison de mon père. Mais il y avait aussi qu'en grandissant, j'étais entouré de gens avec des grosses maisons, des grosses piscines dont j'étais jaloux. J'aurais tellement aimé vivre comme eux plutôt que dans la série de duplex où on déménageait à tout bout de champ.»

Son père ruiné, c'est la communauté juive montréalaise qui paiera ses études, d'abord à l'Université McGill, puis en droit à Ottawa. L'ex-policier et aujourd'hui évaluateur d'art Alain Lacoursière a bien connu Mitch Garber à cette époque. C'était son voisin rue Saint-Louis, dans le Vieux-Montréal. Les deux sont vite devenus amis.

«Il était déjà un peu baveux, mais sans la moindre trace de prétention. Il avait pris le large de sa famille et voulait vivre autre chose. On a beaucoup fait la fête ensemble avec nos blondes. Un jour, pour me prouver à quel point il connaissait la culture québécoise, il m'a même emmené voir un show de Dan Bigras. C'est bien pour dire.»

Garber a poursuivi ses études en droit à Ottawa, mais le jour du barreau, il a obtenu une dérogation pour aller passer l'examen à Montréal.

Une femme francophone

Dans la salle d'examen, il s'est retrouvé assis à côté d'une jeune étudiante du nom d'Anne-Marie Boucher. Non seulement elle était jolie, mais elle était fiancée. Mais pour l'énergique futur avocat, dont le parrain était le célèbre avocat Cookie Lazarus, rien n'était impossible, y compris convaincre la fiancée de quitter son futur pour l'épouser, lui. Mitch Garber concède que cette union qui a donné deux garçons y est pour beaucoup dans son attachement à Montréal.

«C'est clair qu'en rencontrant Anne-Marie, dont la famille vit aujourd'hui à Jonquière, mais qui est originaire de Rimouski, je suis tombé en amour avec la culture francophone. J'ai découvert un monde que je n'aurais jamais connu sans Anne-Marie. Mais il y a aussi que je fais partie, avec des gars comme Geoff Molson ou Stephen Bronfman, d'une génération d'anglos qui n'a plus nécessairement envie de s'exiler à Toronto ou ailleurs. On est bien ici.»

Le baseball

Mitch Garber rêve de voir le baseball revenir à Montréal et fait partie du petit groupe d'hommes d'affaires qui s'impliquent pour que le rêve devienne réalité. Chez lui, les métaphores empruntées au baseball abondent. Des métaphores qui décrivent l'impatience de son père qui voulait frapper des coups de circuit à tout coup et qui, en fin de compte, l'a payé de sa vie.

Quant à la métaphore le concernant, d'aucuns diront qu'à Tout le monde en parle, Mitch Garber a lancé une balle courbe à Pierre Karl Péladeau. Pourtant, en revenant sur le sujet, il affirme qu'il n'a pas agi de mauvaise foi, qu'il n'a fait que soulever des questions légitimes sur le futur leader du PQ.

Il affirme aussi qu'il n'est pas l'antisouverainiste que Julie Snyder l'a accusé d'être, et qu'il a de l'estime et de l'amitié pour plusieurs souverainistes. Pierre Karl Péladeau et lui ont déjà eu au moins un bon ami en commun: le péquiste Daniel Audet, qui a succombé à un cancer du cerveau en 2012. Les deux l'ont aidé à payer ses frais médicaux lorsqu'il est allé suivre des traitements spéciaux aux États-Unis.

Mieux encore: Garber n'impute pas au PQ ni aux deux référendums le déclin de Montréal: «Nous sommes tous responsables du fait que Montréal a cessé d'être la capitale financière du Canada. C'est un échec qu'on doit tous partager. On ne retrouvera jamais ce statut-là, notamment parce que l'économie s'est déplacée vers l'ouest, mais on peut redevenir plus fort qu'on l'est maintenant.»

Dans le même souffle, il jure que le siège social du Cirque du Soleil restera à Montréal. «Tu peux peut-être déménager 2000 comptables, mais pas 2000 créateurs qui créent des costumes, des décors, des musiques, des numéros. Le Cirque fait partie à la fois du patrimoine québécois et de l'ADN de Montréal, et il n'y a aucune raison que ce ne soit pas la même chose dans 30 ans.»

Quant à l'antre des Dragons où il communie toutes les semaines, Mitch Garber s'y plaît bien. Et si d'aventure on lui demandait de revenir pour une deuxième saison, le dragon ne dirait pas non. Même qu'il dirait oui. Avis aux intéressés.