Hier après-midi, ils étaient un peu plus de 31 000 à avoir liké la pétition Sauvons le costumier de Radio-Canada sur Facebook. La pétition fait une demande très précise: que Radio-Canada suspende sa décision de se défaire de son service de costumes d'ici les prochaines élections.

Le message à la direction est clair: si vous tenez tant que ça à dilapider le patrimoine costumier québécois et à faire le sacrifice de costumes immortalisés par Sol, Paillasson et Bobino, ayez au moins la décence d'attendre une petite année, au cas où le prochain gouvernement élu décide d'annuler la mesure.

> Sauvons le costumier de Radio-Canada sur Facebook

En même temps, ce n'est pas tout le monde qui pleure la disparition d'un service qui comptait pas moins de 90 000 vêtements, chaussures et chapeaux. Certains trouvent qu'un tas de vieux chiffons qui sent le moisi ne fait pas le poids à côté des centaines, voire bientôt des milliers, de postes qui seront supprimés à CBC et à Radio-Canada d'ici 2020. Pour eux, le vrai drame du démantèlement en cours, il est là, dans cette réduction radicale du capital humain. Pas dans la perte du capital costumier.

Ils ont un peu raison, mais ce qu'ils oublient, c'est que la fermeture du costumier, c'est d'abord et avant tout un symbole. Sa fermeture incarne tout ce qui ferme et s'éteint à la télé publique, tout ce qui fait que le roi est de plus en plus nu, dépouillé de ses plus beaux atours, dépossédé de ses biens, coupé, charcuté, compressé et sacrifié sur l'autel de l'équilibre budgétaire.

Sa fermeture est un symbole, mais c'est aussi le signe que plus le temps passe et plus Radio-Canada et CBC ne forment plus qu'une seule et même société. ONE SAME COMPANY. C'est le but que s'était fixé Hubert Lacroix en devenant président de la boîte en 2008 et c'est le but qu'il est en train d'atteindre, qu'on le veuille ou non.

À ce sujet, notons qu'en 2007, quelque temps avant la nomination d'Hubert Lacroix, le service des costumes de la CBC a été fermé et vendu à un jeune couple d'entrepreneurs qui venait tout juste de racheter la faillite du plus gros costumier de Toronto.

Sauf erreur, personne n'est descendu dans la rue au Canada anglais pour protester. Il n'y a pas eu de pétition sur Facebook ou ailleurs pour dénoncer la vente d'un important morceau du patrimoine culturel canadien à des locateurs de costumes d'Halloween.

Cette absence de réaction, à côté de notre indignation, est tout à fait représentative des clivages et des différences culturelles qui existent entre la société québécoise et le Canada anglais. Ici, on s'émeut pour la culture; là-bas, on s'émeut pour la Soirée du hockey.

Hubert Lacroix le comprend-il? Veut-il le comprendre?

Instrument de culture ou business?

Si je me fie à l'excellent et accablant ouvrage d'Alain Saulnier Ici était Radio-Canada, Hubert Lacroix n'a pas de temps à perdre avec les différences et les distinctions culturelles.

Saulnier nous raconte l'air perplexe du président en entendant l'ex-VP des services français Sylvain Lafrance affirmer que Radio-Canada est un instrument de démocratie et de culture. «Que veux-tu dire?, lui aurait demandé Lacroix avant de le corriger: c'est une entreprise, une business

Un peu plus et il ajoutait: un instrument de culture? Veux-tu rire de moi?

Vu sous cet angle, on comprend mieux ce qui se passe en ce moment au sein de la télé publique sous les auspices d'Hubert Lacroix. Comme nous le rappelle judicieusement Saulnier, Lacroix est un expert en fusion d'entreprises. C'est dans ce domaine qu'il a connu ses plus grands succès et c'est en fusionnant cette institution bicéphale et biculturelle qu'était CBC/Radio-Canada qu'il entend laisser sa marque.

Saulnier note que le président ne s'en cache même pas. Dans l'introduction du plan stratégique 2015-2020, Un espace pour tous, le PDG annonce: «En travaillant comme une seule et même entreprise d'ici 2020, nous serons une organisation plus petite, mais plus efficace et plus ciblée.» ONE SAME COMPANY.

Saulnier nous apprend que le secteur des ventes des services français et des services anglais ont déjà été fusionnés. Plusieurs employés francophones doivent désormais se rapporter à des chefs de service unilingues anglophones. Le service des finances semble être le prochain sur la liste des fusions, ce qui, selon Saulnier, signifie la fin des budgets protégés pour le réseau français.

Saulnier avance même, et là j'ai peine à le croire, qu'il est aussi question de fusionner le service des programmes, ce qui mettrait fin à la spécificité créatrice du réseau français.

Alors, oui, la fermeture du costumier de Radio-Canada, c'est très triste, très déplorable. Mais ce n'est qu'un symbole et le signe que ce qui s'en vient va s'aggraver avant de s'améliorer. Enfin pour ceux qui croient encore que Radio-Canada est un instrument de culture et de démocratie plutôt qu'une business.