Au bout du compte, sans le vouloir ni le faire exprès, Jacqueline Laurent-Auger aura rendu un fier service au Collège Jean-de-Brébeuf. Même qu'elle aura permis au vénérable établissement qui ces jours-ci passait pour rétrograde et complètement déconnecté de la réalité de faire un pas en avant. Un pas dans la bonne direction, s'entend.

On apprenait en effet, hier, que devant le tollé suscité par le congédiement de Jacqueline Laurent-Auger, une animatrice d'ateliers de théâtre, la direction a changé de fusil d'épaule et envisage de réintégrer la dame de 73 ans, injustement sanctionnée pour avoir tourné des films folichons en France il y a 40 ans.

Il n'est pas clair quelle forme prendra cette réintégration, puisque le communiqué de Brébeuf fait état de nouvelles fonctions pour Mme Laurent sans préciser lesquelles.

Reste que la direction a enfin reconnu son immense gaffe, tant sur le plan des relations publiques que de la pédagogie. Il était temps. Grand temps.

Rappelons que cette triste affaire a débuté en janvier dernier lorsque deux gamins de la classe de la prof sont tombés sur des classiques du cinéma français des années 70 comme Dany la ravageuse ou La nuit toutes les chattes sont grises en naviguant sur l'internet. Ils y ont découvert leur prof, âgée de 40 ans de moins et dans le plus simple appareil.

Il est à noter que les deux gamins étaient en cinquième secondaire et âgés de 16 ou 17 ans, l'âge où, grâce à l'internet, toute la pornographie du monde est accessible 24 heures sur 24. Normalement, ils auraient dû trouver les vieux films de leur prof plates à mort ou carrément nuls et les accueillir avec un bâillement. Leur excitation ricaneuse et leur empressement à ameuter leurs copains semblent plutôt indiquer l'ampleur de leur malaise pubère.

C'est d'ailleurs sur ce malaise que la direction a promis de se pencher en lançant un chantier de réflexion sur la sexualité, les plateformes numériques et les réseaux sociaux en milieu éducatif.

C'est un bel effort, mais il arrive un peu tard, et surtout, n'eût été le tollé suscité par l'affaire Laurent, il n'aurait jamais eu lieu.

Malheureusement, au Collège Brébeuf, dès qu'il est question de sexe, l'histoire a la triste habitude de se répéter. Déjà, en 1993, le roman de Chrystine Brouillet, Marie Laflamme, inscrit au programme en début d'année, avait été subitement retiré sous prétexte que quelques scènes de sexe, découvertes par un parent zélé, y figuraient. Cédant à l'indignation du parent dont certains se sont demandé s'il n'appartenait pas à l'Opus Dei, la direction avait obligé tous les élèves de deuxième secondaire à rendre leur exemplaire, à défaut de le brûler. Sébastien Trudel des Justiciers masqués s'en souvient encore. Tout comme il se souvient du jour où la direction l'a convoqué et vertement réprimandé pour avoir montré un condom dans une vidéo tournée pour un cours. Sébastien et son comparse Marc-Antoine Audette sont les initiateurs d'une pétition sur Facebook pour que Jacqueline Laurent soit réintégrée dans ses fonctions. Ils se promettaient d'envoyer une lettre de protestation signée par une centaine d'anciens du collège dont quelques vedettes comme Coeur de pirate, Gregory Charles ou Julie Snyder. La volte-face de Brébeuf leur a permis d'en faire l'économie. Tant mieux pour eux.

Quant à la direction de Brébeuf, elle aura mis plus de cinq jours à se réveiller et à comprendre qu'elle avait complètement renoncé à son rôle d'éclaireur envers les deux gamins par qui le scandale est arrivé. Car au lieu de les prendre à part et de leur conseiller d'arrêter de capoter sur un bout de peau filmé il y a un siècle, la direction a commencé par leur donner raison, encourageant chez eux une forme d'ostracisme et d'intimidation.

Heureusement, pour une fois, la société québécoise au complet semble s'être donné le mot pour protester.

J'ai rarement vu une opinion publique aussi peu divisée sur un sujet.

À ce que je sache, il n'y a pas un seul commentateur qui n'ait pas crié à l'injustice et dénoncé la décision du collège. Idem pour les profs et leur syndicat.

Toute cette histoire m'a fait penser à cette célèbre pièce de Frank Wedekind, L'éveil du printemps. Écrite en 1891, interdite jusqu'en 1906, cette pièce phare dénonçait le puritanisme et l'ignorance sexuelle dans lesquels on enfermait les jeunes, les condamnant à une misère sexuelle, source de trop de drames et de tragédies.

Ironie du sort, la pièce a été montée à Brébeuf par les élèves de niveau collégial il y a quelques années. Mais de toute évidence, les leçons de la pièce ont tardé à porter leurs fruits. À cet égard, sans le vouloir et sans faire exprès, Jacqueline Laurent aura contribué à l'éveil de Brébeuf. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter que cet éveil soit sincère et qu'il ne dure pas que l'espace d'un printemps.