Vous avez le livre de Stephen Harper? Ma question a pris de court le commis chez Archambault. C'était le jour de la parution mondiale de A Great Game, un livre sur les Leafs de Toronto et la montée du hockey professionnel, écrit par le premier ministre Harper et publié par un éditeur américain, preuve de la grande estime dans laquelle le PM tient les éditeurs canadiens.

En français, au moins, ce n'est pas un éditeur de Paris mais Québecor qui a obtenu les droits.

Reste que le pauvre commis n'avait pas la moindre idée de ce dont je parlais. Un livre sur l'histoire du hockey? Un éclair a traversé son regard et y a allumé une ampoule à faible densité. D'un pas résolu, le commis m'a conduite dans le recoin des publications en anglais et m'a tendu triomphalement... Fighting Back, de Chris Nilan. Euh, pas vraiment...

Un brin traumatisé, le commis est retourné à son ordinateur pour découvrir que trois exemplaires de l'ouvrage étaient quelque part dans la librairie, mais il ignorait où. Trois exemplaires seulement? Pas exactement un gage de confiance...

Comme tout cela prenait trop de temps, j'ai filé à la maison. Deux clics plus tard, j'avais A Great Game, tout chaud dans ma tablette.

J'avais hâte de lire le résultat de huit ans de labeur et de procrastination de la part du PM et, surtout, de voir de quel bois littéraire il se chauffait. Le fait qu'il soit question de hockey ne me dérangeait pas. J'ai assez lu pour savoir que peu importe le sujet, c'est la façon dont il est écrit et raconté qui compte. Tous les sujets sont potentiellement fascinants ou potentiellement ennuyeux. C'est l'écrivain derrière qui fait la différence. Oui, l'écrivain....

Autant l'avouer tout de suite, la tablette m'est tombée des mains. J'ai essayé de continuer après la page 78, mais c'est comme si Stephen Harper avait injecté un puissant somnifère dans son style. Ce n'est pas tant qu'il écrive mal. C'est qu'il écrit de manière tellement cryptique, sans aucune ouverture ni respiration, qu'on a le sentiment de lire par-dessus l'épaule d'un homme prostré sur sa copie, qui la protège jalousement de l'oeil d'autrui.

Les faits, minutieux et d'une précision maniaque, puisés à même d'abondantes archives, s'enchevêtrent à travers une vision microscopique des choses et finissent par perdre, peut-être pas le fan fini de hockey, mais au moins le lecteur ordinaire.

J'ai lu le livre en anglais, c'est vrai, la version française (Un sport légendaire) ne sortant que le lendemain. Mais j'ai lu des tonnes de livres en anglais, et pas des moindres, et je n'ai jamais eu autant le sentiment de lire une langue étrangère.

Comme conteur, Harper manque de chaleur, d'effusion, d'ouverture. Bref, il est un peu assommant.

Comme historien, par contre, il est beaucoup plus solide. Il décrit bien les premières heures du hockey amateur sur fond de révolution industrielle, l'arrivée du train et de l'automobile et la résistance au hockey de Toronto, encore enlisée dans la tradition puritaine britannique. Il a quelques bons mots pour Montréal: une ville au caractère plus flexible qui ne souffre pas de la rigidité de sa vis-à-vis ontarienne. Mais le compliment est assorti d'une gifle.

«On passe souvent sous silence le fait que la franchise originelle des Canadiens devint inactive en 1910, avant d'être vendue par les O'Brien en 1911, écrit-il. Plus embarrassant encore, une nouvelle équipe des Canadiens fut établie en 1910 alors que l'entité originale fut transférée à Toronto. En d'autres mots, les Canadiens furent créés par la famille Renfrew établie à Montréal, puis vendus à Toronto. Il est facile de comprendre pourquoi l'organisation du tricolore préfère dire qu'elle est toujours l'équipe originale des Canadiens alors qu'à proprement parler, ce n'est pas le cas. Les Leafs et le Canadien descendent d'un ancêtre commun.»

Je n'avais jamais entendu cette version de l'histoire. Mes camarades aux Sports non plus. Selon l'archiviste du Canadien, sur le plan strict des faits, c'est vrai, dans la mesure où une partie du noyau originel du Canadien s'est retrouvé à Toronto et l'autre à Montréal.

Qu'est-ce que cela prouve? Qu'en bon politicien, Stephen Harper n'hésite jamais à faire une jambette au Québec ni à le priver de la paternité de ses symboles. Ne lui reste plus qu'à affirmer que cette méprise de l'histoire est notre faute ou encore que c'est un Québécois qui a vendu du crack au maire de Toronto, et la boucle sera bouclée.