Il y a quatre ans, les créateurs de la série Homeland n'avaient pas prévu le succès retentissant qu'ils allaient connaître. Leur but au départ était assez simple: adapter une série israélienne existante pour en faire la meilleure série possible et prier pour qu'elle rallie un auditoire important, ce qui était loin d'être assuré.

L'équipe savait qu'elle tenait une bonne histoire sur fond de terrorisme international, un bon décor dramatique, en l'occurrence le complexe de la CIA à Langley, et un personnage central fort, une agente de la CIA blonde, brillante et bipolaire. Pour le reste, c'était à la grâce de Dieu ou d'Allah.

Or, dès sa première diffusion sur Showtime, à l'automne 2011, Homeland a touché une corde ultra-sensible chez le public américain, à savoir sa peur d'une autre attaque terroriste sur le territoire américain.

Avec le souvenir encore très vif des événements du 11-Septembre, les Américains ont donc communié en masse devant les aventures de Carrie Mathison, la blonde bipolaire, convaincue que Nicholas Brody, le soldat de la marine américaine libéré par Al-Qaïda, a retourné sa veste et rejoint le camp ennemi.

L'idée que le danger ne vienne pas seulement d'ailleurs, mais qu'il soit fait maison et que l'ennemi ne soit pas l'étranger ni l'autre, mais un ennemi intérieur a, de toute évidence, frappé l'imagination populaire et fait surgir des profondeurs une peur rarement exprimée.

C'est la grande force de la télé quand elle est bonne et bien faite: elle réussit à capter et à cristalliser des phénomènes qui flottent dans l'air et ne demandent qu'à être reconnus et identifiés. C'est arrivé une fois de plus la semaine dernière sur Homeland qui a entrepris sa troisième saison sur Showtime.

Ne vous inquiétez pas, je ne brûlerai aucun punch en évoquant l'épisode de dimanche dernier. Sachez seulement qu'à la suite d'un attentat terroriste, une analyste informatique a été engagée à la CIA.

On la voit franchir les guérites de sécurité et descendre les couloirs lisses et aseptisés. Mais ce qu'on remarque le plus, ce sont les regards torves et méfiants tout le long de son parcours. Pourquoi? Parce que l'analyste engagée par la CIA porte un hijab.

Ce n'est pas la première fois qu'une femme voilée apparaît à la télé américaine, mais c'est bien la première fois que la question du voile porté dans la fonction publique est évoquée aussi ouvertement.

Notez que le voile n'est pas interdit à la CIA ni dans aucune institution publique américaine. C'est d'ailleurs ce que le patron du département, consacré au terrorisme international, rappelle à l'analyste voilée: «Le truc que t'as sur la tête, tu peux bien le porter, c'est même ton droit le plus strict, dit-il. Mais sache que si tu veux continuer à le porter, t'as intérêt à être la meilleure analyste au monde, sinon t'es à la porte.»

La tirade est crue et mesquine. En même temps, elle traduit bien le malaise que ce voile incongru fait peser sur le paysage. Comment, en effet, faire confiance à une femme voilée qui enquête sur le terrorisme islamique? Comment concevoir que ce voile, que l'analyste refuse de laisser au vestiaire, n'est qu'un bout de tissu sans signification particulière?

Par un curieux concours de circonstances et de manière involontaire, Homeland nous plonge dans le débat qui fait rage en ce moment au Québec. Il met en scène le poids d'un symbole et ses effets sur les gens et leur environnement de travail. Il montre le supplément de complexité que ce voile installe dans les rapports humains et professionnels.

Bref, on dirait que cet épisode a été écrit sur mesure pour les tenants de la Charte des valeurs québécoises. Mais que ces derniers ne s'illusionnent pas trop. Homeland est une série américaine. C'est dire que tout finit par se régler à l'américaine, avec un soupçon de poudre magique. L'analyste voilée réussit à retrouver la trace des coupables. Son honneur est sauvé et son voile, oublié. Chez nous, pendant ce temps-là, les questions demeurent...