Les Anglo-Saxons ont une belle formule pour décrire l'utilité de joindre la parole aux gestes. Put your money where your mouth is, disent-ils. Vous aurez compris qu'il ne s'agit pas de se mettre de l'argent plein la bouche, mais d'ouvrir son portefeuille plutôt que sa gueule pour les causes qui nous tiennent à coeur. En d'autres mots, les paroles s'envolent, mais les chèques restent.

D'une certaine manière, c'est cette préoccupation qui a animé le Groupe de travail sur la philanthropie culturelle, qui a remis son rapport hier à Pauline Marois et à ses ministres des Finances et de la Culture.

Piloté par le mécène Pierre Bourgie, à qui l'on doit notamment la salle de concert Bourgie dans le nouveau pavillon Claire et Marc Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal, le Groupe a étudié les raisons du retard du Québec en matière de philanthropie culturelle et a proposé des mesures fiscales pour le corriger.

Dans sa lettre à la première ministre, Pierre Bourgie explique que les propositions du Groupe de travail visent à promouvoir le soutien désintéressé des entreprises et des particuliers à la culture.

Le mot «désintéressé» m'a fait un peu tiquer. Pourquoi? Parce que le rapport propose des mesures fiscales incitatives qui, par définition, ne sont pas désintéressées du tout, puisque chaque dollar donné revient au donateur en crédit d'impôt. À titre d'exemple, le rapport accorde un crédit d'impôt de 25% pour un premier don en culture. S'il est de 5000$, le donateur recevra un crédit d'impôt de 3838$. À 25 000$, le crédit d'impôt est de 18 481$, toujours pour un premier don. Pour les gros dons de 25 0000$ et plus, le crédit d'impôt est de 15%.

Dans un monde idéal, les plus riches donneraient à la culture, sans regarder ni compter. Ils donneraient pour le seul plaisir de donner. Ils donneraient par amour des arts et de la culture.

Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Encore moins au Québec, où la philanthropie culturelle accuse un retard.

Les dons des entreprises et des particuliers en culture chez nous atteignent un humble 3%, contre 32% pour la santé et les hôpitaux et 20% pour la religion.

Autant dire qu'il y a du chemin à faire avant que le soutien privé à la culture devienne une tendance lourde, voire un vaste mouvement culturel désintéressé.

Or, selon Pierre Bourgie, ce n'est pas nécessairement parce qu'il y a moins d'argent au Québec qu'en Alberta ou en Ontario. Même si le Québec est moins riche, Bourgie croit que les 45 millions de dollars en dons récoltés annuellement pour la culture au Québec pourraient facilement grimper d'ici quatre ans à 68 millions. Comment? Par un changement de mentalité propulsé par une série de mesures fiscales sous forme de déductions et de crédits d'impôt.

Convaincre les gens les plus fortunés de s'intéresser davantage à la culture et de contribuer financièrement à son épanouissement est une chose plus que souhaitable.

On espère d'ailleurs qu'avec ce rapport, ceux qui ont les moyens, mais qui jusqu'à présent ne voyaient pas l'intérêt d'aider un festival de théâtre ou un festival de films sur l'art, vont subitement se découvrir un nouveau coeur de philanthrope.

Mais là où le rapport devient franchement intéressant (et intéressé), c'est que ces mesures fiscales peuvent aussi s'avérer de puissants outils de persuasion pour les solliciteurs de fonds du milieu culturel.

Ces mesures ont en effet été conçues avec le souci de donner plus de mordant aux solliciteurs du milieu culturel et de les aider à surmonter la gêne, les complexes et la culpabilité qui les assaillent quand ils cognent à la porte des plus fortunés.

Le rapport encourage le milieu culturel, au lieu de s'accommoder de quelques grenailles, à mieux se structurer et à présenter des plans d'affaires visant des partenariats, non plus à la petite semaine, mais sur cinq ou dix ans. Bref, le changement de mentalités proposé est bidirectionnel et vise autant les philanthropes que ceux qui les sollicitent.

Parmi les autres mesures intéressantes du rapport, notons la volonté d'encourager l'art public et l'intégration de l'art dans les hôtels, restos et autres édifices privés.

En plus d'inscrire la culture au coeur de la ville et de la société, le rapport propose la mise en valeur de l'architecture avec des concours lors de la construction d'immeubles importants. Il propose aussi de doter les Prix du Québec d'un nouveau prix d'architecture - le prix Ernest-Cormier. Des mesures ont également été imaginées pour initier les jeunes à la culture le plus vite possible en augmentant les sorties culturelles au primaire de 50%. On propose également un prix d'entrée de 1$ pour tous les jeunes de 0 à 18 ans en visite dans les trois grands musées d'État. Enfin, le rapport propose que les cours d'histoire au secondaire intègrent des éléments de l'histoire de l'art.

On ne change pas les mentalités du jour au lendemain. Mais ce rapport est un premier pas dans la bonne direction. Au pire, il va rester lettre morte. Au mieux, il va permettre aux philanthropes de découvrir qu'un don en culture est payant et qu'en plus, il permet de joindre l'utile à l'agréable.