C'est la première. La première chanteuse populaire, la première artiste féminine du Québec, la première femme connue et publique à sortir du placard et à assumer ouvertement son homosexualité. Mais Ariane Moffatt ne s'en cache pas: faire son coming out n'a pas été facile.

Les doutes et les déchirements intérieurs l'ont assaillie pendant toute la durée du processus. Au bout du compte, c'est le désir d'avoir des enfants qui l'a fait fléchir. «Tu ne peux pas mettre des enfants au monde si tu ne t'assumes pas pleinement», m'a avoué Ariane lundi soir, à quelques minutes de la remise du prix Lutte contre l'homophobie, qui lui a été décerné par la Fondation Émergence.

Précédent historique, Ariane a reçu ce prix, créé en 2003, des mains de la première ministre Pauline Marois en personne. «J'ai encore de la misère à le croire», a-t-elle d'ailleurs lancé à la blague à la première ministre devant elle.

Nous vivons dans un monde de symboles, et le poids symbolique de la première ministre du Québec remettant un prix à la première chanteuse gaie de l'histoire de la musique populaire d'ici n'était pas anodin. Mais surtout, cette image envoyait un message clair à la société québécoise: un message d'ouverture à la diversité sexuelle, d'inclusion et de tolérance.

Qu'est-ce que ça te fait d'être la première? ai-je demandé à la chanteuse de 34 ans. Elle a souri de son sourire candide et un brin moqueur: «Quand j'y pense, je trouve ça presque désolant. Désolant qu'en 2013, je sois la première. Les choses n'avancent pas vite.»

Lorsque la Fondation Émergence a contacté la chanteuse pour son prix, elle a eu un moment d'hésitation et s'est demandé si elle le méritait.

«Après tout, je n'ai pas fondé la ligne Gai Écoute et je n'ai pas trouvé de remède à l'homophobie. Mais ce qui m'a convaincue, c'est que mon parcours est celui de beaucoup d'hommes et de femmes. On croit à tort que c'est facile d'assumer son homosexualité. Ce n'est pas vrai. C'est un processus laborieux, fait de doutes, de deuils, d'homophobie intérieure. Pour être franche, gérer cette partie-là de ma vie a été beaucoup plus difficile que de gérer ma carrière professionnelle.»

Ariane affirme qu'elle doit tout à sa blonde, la psychologue Florence Marcil-Denault, avec qui elle est en couple depuis sept ans. Après un premier tapis rouge, puis un deuxième, où Ariane s'est présentée au bras de sa bien-aimée en esquivant les questions indiscrètes, la décision de s'assumer pleinement s'est imposée.

«D'abord par respect pour Florence, parce qu'elle fait partie de ma vie et que je ne vais pas passer ma vie à la cacher. Et puis, au lieu d'attendre la question qui tue ou la une du journal à potins, j'ai décidé de prendre les devants à Tout le monde en parle, mais sans en faire tout un plat. Je ne voulais pas que ça soit: oyez, oyez, trompette, je suis gaie! Je voulais que ça soit un truc presque banal, genre j'ai une vie intime et oui, je vis mon intimité avec une femme.»

Bien qu'elle se défende d'être un modèle, la chanteuse est consciente qu'en s'affichant avec sa conjointe, enceinte de jumeaux, elle aide la cause des femmes homosexuelles.

«C'est pas pour rien qu'il y a plus d'hommes que de femmes qui font des coming out. Les femmes sont plus frileuses, elles ont peur de décevoir, peur qu'on dise qu'elles ne sont pas des vraies femmes. Moi aussi, j'avais ces peurs-là, peur de n'être plus qu'une chanteuse lesbienne aux yeux du public.»

Pour vaincre ses peurs et surmonter le poids des préjugés, je me dis qu'il faut du courage. Mais le mot est peut-être trop fort ou trop complaisant. Après tout, la Terre n'a pas arrêté de tourner depuis le coming out d'Ariane. Pourtant, la chanteuse trouve que le mot courage est le bon.

«Découvrir son homosexualité n'est pas un cadeau tombé du ciel. Au début, ce n'était pas clair pour moi. J'ai été avec des gars et avec des filles aussi, mais j'ai résisté longtemps à mes attirances sexuelles. Il m'a fallu du courage pour les assumer. Du courage pour faire le deuil de l'hétérosexualité et d'une vie familiale plus conventionnelle. Et ce courage, je suis allée le chercher au fond de moi, par amour et aussi pour me défaire de la prison du non-dit.»

Les jumeaux sont attendus en juillet, mais ne seront peut-être pas les deux seuls enfants du couple. Ariane espère bien tomber enceinte à son tour d'ici quelques années. En attendant, elle cessera ses activités professionnelles le 13 juin et prendra une année complète, ce qu'elle n'a jamais fait depuis le début de sa carrière.

C'est une nouvelle vie qui commence pour elle. Une vie faite de couches, de bébés qui braillent, de petits bonheurs insouciants, vécus en toute liberté, hors de la prison du non-dit.