Avec un peu de chance, la 15e Soirée des Jutra, dimanche soir, fera des cotes d'écoute supérieures au gala des prix Aurore diffusé chez Infoman jeudi. Je dis bien «avec un peu de chance». Car les prix Aurore décernés aux «meilleurs pires films québécois de l'année» sont de plus en plus populaires. Et tant pis si les téléspectateurs n'ont pas vu les pires films québécois, ni au demeurant les meilleurs, ils se consolent en riant à gorge déployée des frasques d'Infoman avant de se féliciter de n'avoir pas dépensé une cenne pour les navets de l'année.

Je n'ai pas fait de sondage sur la question, mais je doute que le milieu du cinéma québécois apprécie les prix Aurore. Pour les apprécier, il faudrait avoir le sens de l'humour, ce qui est difficile à acquérir quand on a mis tout son coeur et toute son énergie dans un film que d'autres s'amusent à tourner en dérision.

En même temps, Infoman n'a pas inventé l'exercice du massacre public. Les Razzies aux États-Unis ou les Gérard en France le faisaient avant Infoman et avec mille fois moins de tact et de délicatesse.

Et puis, vus sous un autre angle, les prix Aurore pourraient devenir à la longue un puissant outil de motivation pour les créateurs en cinéma. Dès l'ébauche d'un projet de film, ils n'auraient qu'un seul but en tête: éviter à tout prix de se retrouver avec un Aurore. Tout mais pas ça!

Reste qu'il serait dommage que les prix Aurore éclipsent, en cotes d'écoute et en intérêt, les Jutra. Notre cinéma mérite bien quelques claques, mais il mérite aussi d'être célébré de belle façon. Et peut-être encore plus cette année, une année charnière qui marque les 15 ans (déjà) des prix Jutra et qui vient clore un parcours en dents de scie pour le cinéma québécois.

Je ne vous referai pas le topo, on en parle ad nauseam depuis des mois. Autant le cinéma québécois a rayonné à l'étranger en 2012, autant il a fait patate au Québec, décrochant une maigre part de marché de 6 %.

Selon la légende urbaine colportée par certains lamentards, le cinéma québécois va mal. Pourtant, cette semaine, en cherchant sur l'internet la liste complète des films québécois de 2012, j'ai fait une découverte étonnante. Je suis tombée sur le site Filmsquebec.com. Son concepteur, Charles-Henri Ramon, un cousin français établi chez nous, y dresse, depuis 2008, la liste de tous les films québécois de l'année, mais pas selon leurs recettes au box-office. Selon le nombre de spectateurs, ce qui donne une idée plus concrète et tangible de l'état des lieux.

On y apprend ainsi qu'Omertà, le numéro un au box-office, a attiré 294 556 spectateurs et Rebelle, le grand favori des Jutra, seulement 16 667. On y apprend aussi qu'avec 20478 spectateurs, L'empire Bo$$é a été moins vu que Tout ce que tu possèdes de Bernard Émond, qui a attiré 23 163 spectateurs.

Après avoir parcouru la liste, j'ai sorti ma calculatrice et constaté qu'en 2012, l'annus horribilis de notre cinéma, 1,2 million de Québécois ont néanmoins choisi d'aller voir un film québécois. 1,2 million! Ce n'est pas rien! C'est 15 % de la population.

Vous me direz qu'il n'y a pas de quoi se vanter puisqu'il s'agit d'une baisse importante par rapport à 2011, alors que 2,4 millions de Québécois ont fait honneur à un film d'ici. Je vous concède que cette baisse est impressionnante. Mais 1,2 million de spectateurs en chair et en os, ce n'est quand même pas négligeable. Ça fait du monde à la messe et pas mal plus que dans une vraie messe.

Alors on peut rire tant qu'on veut des mauvais films de 2012, mais sans perdre de vue que, si le cinéma québécois n'existait pas, ce serait pas mal moins drôle.