Si l'importance d'un auteur se mesure au nombre de notables qu'il réussit à attirer à son lancement, alors l'historien Éric Bédard, qui n'a que 42 ans, est un homme respecté et influent. Lundi soir, dans la maison même du chanoine Groulx à Outremont, les personnalités publiques venues saluer la sortie de son nouvel ouvrage se comptaient au pouce carré, depuis Lucien Bouchard jusqu'à Pierre Karl Péladeau en passant par Claude Béland, le nouveau ministre de l'Éducation Pierre Duchesne, Jacques Godbout et j'en passe.

Ce soir-là, le docteur en histoire de McGill et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris ne célébrait pas la publication d'un autre essai comme la demi-douzaine qu'il a déjà signé, mais son entrée dans un club sélect: celui des nuls. Entendons-nous: il ne s'agit pas d'un club d'imbéciles, mais d'une très prestigieuse collection française de manuels destinés à l'origine pour les nuls en informatique et publiés par les très french éditions First.

Grâce à un succès planétaire retentissant, les Nuls et leur couverture noire et jaune emblématique sont devenus une marque réputée, traduite en un million de langues et couvrant un océan de sujets allant du Tricot pour les nuls jusqu'au Judaïsme pour les nuls en passant par Le sexe pour les nuls, Le solfège pour les nuls ou Le néerlandais pour les nuls. Éric Bédard a été invité à y ajouter sa petite brique avec L'histoire du Québec pour les nuls.

Je me suis empressée d'en acheter un exemplaire et de plonger dans ses 400 pages, divisées en 6 parties et en 25 chapitres. D'entrée de jeu, j'ai constaté que c'était bien fait, clair, cohérent, facile à suivre et à comprendre. J'ai bien aimé la mise en garde voulant que l'ouvrage ne s'adresse pas aux chercheurs en histoire, mais au grand public, qu'il soit serbo-croate ou finlandais. Mais Éric Bédard a ajouté avec une pointe éditoriale qu'il s'adresse aussi aux Québécois, «ceux qui ont le sentiment de mal connaître leur histoire parce qu'ils l'ont oubliée ou parce qu'ils ont eu des profs moins motivés». Façon polie de dire que les profs sont nuls. Dernier public cible de l'historien; les nouveaux arrivants comme sa tendre épouse qui, de son propre aveu, aurait bien aimé avoir un tel manuel sous la main lorsqu'elle a émigré au Québec. Bien d'accord.

L'ensemble des grands événements politiques qui ont marqué notre histoire, de 1524 à nos jours, y sont tous sans omission: les débuts de la colonie, les guerres, la conquête, Duplessis, Lesage, l'Expo 67, les référendums, l'accord du lac Meech, le FLQ, la mort de Pierre Laporte, le massacre de Poly, la crise du verglas et l'élection de la première femme première ministre. Amen.

Pour ne pas assommer les nuls, chaque événement est contenu dans des capsules de quelques paragraphes ressemblant à de longs tweets. On est de son temps ou on ne l'est pas...

Tout m'est apparu équilibré et bien documenté, mais qui suis-je pour juger? Je ne suis pas historienne. Ma culture historique, sans être nulle, est trouée comme un gruyère. En histoire, j'ai peu de repères. J'en ai beaucoup plus en arts et dans la culture et là, misère, j'ai été déçue.

À ce que je sache, ce qui fait que le Québec existe encore après tant d'épreuves, de revers, d'échecs, c'est la résilience de son peuple, mais aussi la force de la culture à travers laquelle il s'exprime. Or, il n'y a qu'un court chapitre consacré non pas à la culture, mais à 10 personnalités mythiques. Maurice Richard y est, Louis Cyr aussi, de même que Céline Dion, Nelligan, Michel Tremblay, Leonard Cohen et... Guy Laliberté. Les écrivains brillent par leur absence, de même que Félix Leclerc, André Mathieu, Jean Duceppe, Riopelle et Borduas. Pas un cinéaste non plus, même pas Claude Jutra, celui dont George Lucas, monsieur Star Wars lui-même en personne, affirmait dans L'Express du mois dernier qu'il avait été une influence majeure.

Éric Bédard n'est pourtant pas un inculte. Dans son essai Retour aux sources, il analyse brillamment le cinéma de Denys Arcand et de Pierre Falardeau. Il n'est pas un inculte, mais un fervent nationaliste, proche des milieux souverainistes. Reste qu'en occultant de grands pans de la culture québécoise à la faveur de la politique, il s'inscrit dans une logique trop bien connue et qui fait de la culture d'ici un parent pauvre, à la limite une parenthèse historique qui passe toujours après les affaires importantes.

Bédard m'a avoué qu'il avait dû faire des choix déchirants, comme omettre François-Xavier Garneau, qu'il idolâtre, ou oublier le cinéma ou Robert Lepage, mais ces choix-là, il les a faits. C'est indéniable.

Un jour, il faudra qu'on m'explique pourquoi les nationalistes québécois font si peu de cas de la culture. Et je ne parle même pas des péquistes, les pires du lot. À peine deux mois après leur élection, les millions qu'ils avaient promis de faire pleuvoir sur la culture se sont déjà évaporés.

À cet égard, Éric Bédard n'est absolument pas dans le champ quand il relègue la culture au rôle de figurant dans l'histoire du Québec. Il confirme qu'au Québec, hier comme aujourd'hui, la culture, c'est pour les nuls. Quant aux éditions First, si jamais leur éditeur cherche un autre angle pour expliquer le Québec aux nuls, la culture serait tout indiquée.