Je ne vous dirai pas la fin du film. C'est ce que j'ai plus ou moins promis à Carlo Guillermo Proto. Qui est-il? Un beau grand Chilien de 33 ans qui, malgré sa gueule d'acteur de cinéma, préfère travailler derrière la caméra que devant. Élevé à Toronto, il s'est établi à Montréal il y a six ans pour étudier le cinéma à Concordia. Mais ça, à la limite, c'est sans importance. Ce qui compte, c'est que depuis l'âge de 8 ans, Carlo vit avec la certitude que son père, un immigrant chilien qui a fait fortune dans l'industrie du camionnage à Toronto, va se suicider. La certitude vient du fait que pendant 25 longues années, Gustavo père a dit à Carlo: «Ne le prends pas personnel mon fils, mais je veux en finir avec la vie. Que tu le veuilles ou non, tôt ou tard, ça va arriver.»

Carlo a tellement entendu parler du suicide éventuel de son père qu'il a décidé d'en faire le sujet de son premier film, El huaso. Le film vient de prendre l'affiche à l'Excentris après avoir remporté le prix du meilleur premier film et le prix du public au Festival du film de la ville de Québec, ce qui n'est absolument pas étonnant. El huaso est un film atypique et bouleversant, dont la beauté des images, la maîtrise du ton et du rythme, le jeu des acteurs qui n'en sont pas, font croire à un film de fiction: un très poignant film de fiction. Et pourtant, tout ce qu'on voit l'écran: Gustavo qui magasine son cercueil, qui discute de sa place au colombarium avec un croque-mort et qui plaide à sa famille qu'il organise sa mort pour leur faciliter la vie, tout cela, c'est du cinéma-vérité au sens propre de l'expression, voire du documentaire brut comme on en rarement vu.

El huaso, qui en espagnol veut dire cavalier, cow-boy, mais aussi imbécile, est en principe un film sur le droit à l'euthanasie. C'est d'ailleurs pourquoi Gustavo a accepté de témoigner aussi ouvertement et avec autant de candeur devant la caméra de son fils. Il voulait faire avancer le débat sur le droit de mourir dignement pour lequel il militait. Mais en réalité, c'est un film sur la souffrance de ceux qui vivent avec un proche dépressif et suicidaire, victimes collatérales et coupables d'un mal de vivre qui ne veut pas guérir parce qu'il ne veut pas être soigné. Car même si Gustavo admet à la caméra qu'il souffre d'anxiété, il refuse de reconnaître qu'il est dépressif et qu'il cherche en fait à perpétuer le geste de son propre père qui s'est enlevé la vie en se jetant sous un train au Chili.

Lorsque El huaso a été présenté à Rio au Brésil au printemps, puis à Toronto, Gustavo était dans la salle. Il a pris plaisir à répondre aux questions du public sans éprouver la moindre honte à voir sa vie et celle de sa famille étalée au grand jour.

Dans son esprit, celui d'un homme d'une autre génération, issu de la culture macho avec la fierté orgueilleuse que cela suppose, la vraie reconnaissance sociale ne se joue pas devant les publics confidentiels des festivals. Elle se joue à la télé. Si Gustavo n'avait qu'un seul rêve pour son fils Carlo, c'est qu'un jour, un de ces films passe à la télé. Or, le 18 juin dernier, El huaso a été diffusé sur les ondes de la CBC. Pour Gustavo, c'était l'ultime accomplissement qu'un père pouvait souhaiter pour son fils.

Je ne vous dirai pas la fin du film. Seulement que lorsqu'un homme décide d'en finir avec la vie, ses proches n'y peuvent pas grand-chose. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est choisir de vivre. Et s'ils sont cinéastes, d'en faire un grand film.

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On en parle trop

Lady Gaga et son surplus de 25 livres. Certains l'accusent de trop boire, d'autres d'avoir avalé sa robe de viande au complet. Elle se défend en invoquant ses origines italiennes. Qu'on la laisse donc bouffer en paix ses spaghettis!

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