J'avais juré que je ne me ferais pas prendre. Juré que, cette fois, je n'achèterais pas de billets hors de prix, ou de billets tout court, pour le spectacle de Madonna. Non, merci. Déjà donné.

À Montréal, ce fut relativement facile de tenir parole. Aurais-je voulu me renier moi-même qu'il aurait fallu que je me lève de bonne heure ou que je ne me couche pas. En moins de 24 petites minutes, les 16 000 billets de son spectacle au Centre Bell se sont envolés. Vingt-quatre minutes!

Même si je n'y étais pour rien, je n'étais pas peu fière d'avoir résisté à la ruée et réussi la première étape de ma cure de désintox. Ma victoire fut de courte durée.

Quelques heures plus tard, voilà qu'on annonçait que Madonna se produirait deux jours plus tard à Québec, sur les plaines d'Abraham. J'ai immédiatement senti ma détermination faiblir et ma promesse de sevrage ruer dans les brancards. Et pour cause! Madonna sur les Plaines, ce n'est pas rien. Ce n'est plus de l'ordre du commerce comme le Centre Bell. C'est de l'ordre de la mythologie. C'est une parenthèse lourde de sens et de symboles. C'est la réappropriation du lieu de la défaite par la fille de Louise Fortin et, surtout, par la descendante franco-américaine d'une longue lignée de Fortin de Montmagny.

Et puis, comment résister au romantisme d'un spectacle à la belle étoile sur les Plaines? Avec le fleuve en toile de fond et l'horizon comme promesse, le lieu dégage un je ne sais quoi d'unique. Même le spectacle le plus «poche» au monde serait sauvé de la médiocrité par la magie des Plaines.

Au diable la retenue. Je me suis précipitée sur le téléphone à la recherche de billets. J'ai fini par en dégoter deux au prix raisonnable de 80$ le billet pour des places debout, perdues au fond des Plaines. Et vogue la galère!

Je n'ai pas regretté ma décision depuis, pour une foule de bonnes raisons. La première est que Madonna donne rarement un mauvais show - et à plus forte raison quand elle fait appel au génie québécois du Cirque du Soleil et de Moment Factory.

Et puis, Madonna a beau avoir la mi-cinquantaine, elle a un corps musclé de jeune poulette et danse 1000 fois mieux que la plupart des nymphettes qui lui ont succédé, y compris Lady Gaga. Bref, son âge ne l'a jamais empêchée d'être à la hauteur des défis que lui posent ses jeunes rivales.

Quand j'entends Elton John dire qu'elle est vieille, finie, flétrie et qu'elle ressemble à une pute de foire, ça me donne envie d'aimer Madonna encore davantage. De l'aimer et de la défendre. Car on dirait toujours que ce sont les femmes qui vieillissent, toujours elles qui, au-delà d'une certaine limite d'âge, sont renvoyées en pénitence chez elles. S'il vous plaît, mesdames, cachez ces années en trop que nous ne saurions voir...

Les hommes, eux, peuvent avoir 202 ans et des rides, des lobes d'oreille jusqu'aux orteils, comme Lou Reed ou Keith Richards, peser 300 livres mouillés, comme le bouddha bedonnant qu'est devenu Elton John, menacer de faire un comeback en fauteuil roulant, façon Led Zeppelin, et préférer la scène aux Résidences Soleil, ce n'est pas grave. Jamais on ne leur reprochera leur âge. Au contraire. Leur âge est un atout, un gage de pérennité, une force.

Avez-vous déjà entendu quelqu'un se plaindre de Charles Aznavour? Non. Tout le monde trouve ça formidable qu'il tienne encore debout sur scène, soir après soir, à 88 ans.

Je vous concède qu'Aznavour n'essaie plus d'être dans le coup et de dominer les palmarès adolescents comme Madonna. Mais pourquoi la musique pop serait-elle l'apanage des starlettes prépubères? Pourquoi une artiste d'expérience n'aurait-elle pas le droit de vouloir y occuper une place? Tant que le public est au rendez-vous, et Dieu sait que le public soi-disant déclinant de Madonna répond présent, pourquoi la chanteuse quitterait-elle la scène?

Comme bien des femmes de son époque, Madonna est encore habitée par un vif désir de s'accomplir dans son métier. Au lieu de la juger, on devrait l'applaudir. C'est exactement ce que je vais faire aux Plaines et ce soir au Centre Bell, si jamais je réussis à me faire inviter. L'applaudir et lui donner une dernière chance, ou peut-être même la première d'une longue série.