Au moins une chose est maintenant claire: Gilbert Rozon n'a pas viré capot et subitement épousé la cause des étudiants au point de leur organiser un spectacle-bénéfice. Ce sont ses soeurs Luce et Lucie qui, sous l'impulsion de quelques humoristes indignés, montent depuis un mois un spectacle qui sera présenté le 18 juin, en dehors des murs et du cadre du festival Juste pour rire. Ça brasse peut-être dans la famille Rozon mais au moins, chacun respecte le camp de l'autre.

Cela dit, je ne comprends toujours pas à quoi a servi la rencontre au sommet du président de Juste pour rire et d'une partie des représentants des associations étudiantes. En est ressorti ce qu'on savait déjà: il n'y aura pas de perturbation ni de casseroles grinçantes pendant les festivals.

Est-ce que quelqu'un en a douté? Est-ce que quelqu'un a déjà cru que les étudiants et leurs représentants étaient assez fous pour gâcher la fête?

Les faits ne parlent-ils pas d'eux-mêmes?

Primo, une vaste proportion des employés des festivals sont des étudiants et ne sont pas masochistes au point de se priver des revenus qui paieront une partie de leurs études.

Secundo, les étudiants sont tout sauf des imbéciles. Ils savent à quel point leur cause est fragile et parfois mal vue d'une certaine partie de la population. Ils savent donc qu'en remettre en pleines festivités serait suicidaire.

Tertio, après plus de 100 jours et des poussières de mobilisation et plus d'une quarantaine de marches nocturnes et de concerts de casseroles, les mobilisés doivent être un peu épuisés - on le serait à moins. Un répit sera sans doute bienvenu pour la plupart d'entre eux.

Bref, exception faite du Grand Prix, qui n'est pas un festival, il n'y avait aucune réelle menace dans l'air.

Je répète donc ma question: cette réunion extraordinaire convoquée par le PDG de Juste pour rire était quoi, au juste? Une mauvaise blague? Une opération de relations publiques? Le calcul politique d'un ex-futur candidat à la mairie de Montréal?

Sur les médias sociaux, on n'hésite pas à voir dans le geste de Rozon un vil calcul de la part d'un opportuniste politique. Pour ma part, j'ai le sentiment que Rozon a plutôt cherché à éteindre le violent incendie qu'il a lui-même allumé sur son compte Twitter.

Rozon, on le sait depuis toujours, n'est pas un adepte de la langue de bois. Il l'a prouvé à des dizaines de reprises au micro et à la caméra pour le plus grand bonheur des médias, qui adorent entendre une grande gueule de son envergure parler sans filtre ni gants blancs.

Or, il y a deux ans, Twitter s'est avéré un formidable haut-parleur pour Rozon. Non seulement il n'avait plus besoin de l'invitation d'une recherchiste pour exister médiatiquement, mais il pouvait donner son opinion 24 heures sur 24. Autant dire qu'il ne s'en est pas privé.

Son activité frénétique sur le fil, dont je suis témoin depuis un an, m'a toujours un peu étonnée. N'a-t-il rien d'autre à faire de ses journées?

À ce jour, Rozon compte 7719 tweets à son actif, dont au moins 7000 ont été écrits au cours des derniers mois. J'exagère un peu, mais peut-être pas tant que ça. Rozon s'est vraiment engagé à fond dans le débat sur la hausse des droits et sur la loi spéciale (78). Il a écrit des choses pas toujours nuancées, et il en a payé le prix, en recevant en retour son lot d'insultes, d'injures et de menaces, ce qui est regrettable.

Il aurait dû comprendre à un moment que son gazouillis était devenu source de dégâts et de dommages collatéraux. Il a continué comme si de rien n'était, sans voir qu'il y a un monde entre s'exprimer librement dans le cadre balisé et civilisé d'un média officiel et dans le far web des médias sociaux.

Rozon a fini par se réveiller et par faire amende honorable, mais à mon avis, plusieurs tweets trop tard.

Rozon aurait dû suivre l'exemple de Michael Sabia, de la Caisse de dépôt, qui a déclaré au sujet de la crise: je suis un homme d'affaires, je me mêle de mes oignons. Mieux encore, Rozon aurait dû s'inspirer de ses amis chez Spectra. Déclarant qu'ils faisaient confiance au bon jugement des étudiants, les organisateurs des Francos et du Festival de jazz les ont plutôt invités à venir fêter sur leur site avec leurs casseroles. Un message respectueux et inclusif. De la grande classe.

Même ce bon vieux Serge Losique, du Festival des films du monde, a compris la nécessité de tendre la main aux futures générations de festivaliers. Lundi, il a fait savoir que l'accès au FFM sera désormais gratuit pour tous les étudiants en cinéma et en journalisme. Mon seul regret, c'est qu'il n'ait pas élargi le principe aux futurs acteurs des écoles de théâtre. Mais bon, l'intention est belle et mérite toutes nos félicitations.

Quant à Gilbert Rozon, j'espère qu'il retrouvera vite son sens de l'humour et qu'il se contentera désormais de se mêler de ses affaires. Car comme l'écrivait l'homme politique Philip Chesterfield, les personnes qui font vraiment des affaires ne font que ça.