Elle ne portait pas de robe. C'est le premier détail qui m'a frappée au milieu du hall de l'hôtel du centre-ville où j'ai rencontré Vanessa Van Durme, première transsexuelle belge et meneuse de piste du spectacle Gardenia d'Alain Platel qui prend l'affiche au Monument National ce soir dans le cadre du FTA. Une tête bouclée couleur feu, des boucles d'oreilles dorées en forme de cerceaux, de grandes lunettes style Saint Laurent, mais pas de robe ni même de talons hauts: des souliers plats, un pantalon gris et un pull Rodier. Dans mon esprit trop nourri de clichés, je pensais qu'après un changement de sexe, un transsexuel portait toujours des robes, symbole même de la féminité tant rêvée et si douloureusement acquise. Mais Vanessa n'est pas tout à fait une transsexuelle comme les autres. C'est une auteure de théâtre et de feuilletons de télé et une des premières transsexuelles belges à subir la grande opération. C'était à Casablanca, au Maroc, en 1975. «Je me souviens d'avoir ouvert les yeux dans la salle de réveil de la clinique du docteur Burou en m'écriant: "Enfin!"» Trente-cinq ans plus tard, Vanessa Van Durme ne s'extasie plus d'être devenue une femme. Dans sa tête, dans son coeur et dans son corps, elle EST une femme. Pas besoin d'en rajouter avec des robes et des froufrous. «Les médias reviennent constamment sur ma transsexualité et je les comprends d'être intrigués, mais moi, ça fait longtemps que j'en suis revenue et que je vis ma vie de femme.»

Vanessa a changé de sexe à 27 ans, à une époque opaque où souffrir de dysphorie du genre n'était pas un trouble de l'identité comme aujourd'hui. C'était une honte, une tare, une perversion. Vanessa raconte que si elle avait pu avaler une pilule qui l'aurait confirmé dans son identité sexuelle masculine et qui aurait apaisé son malaise, elle l'aurait avalée. Trois fois plutôt qu'une. Cette pilule n'existant pas, elle s'est rabattue sur la chirurgie. «Vivre en femme avec un sexe masculin, ça me dérangeait au plus haut point. L'opération, ce n'était pas un choix. C'était une nécessité pour ne pas rester un mec malheureux toute ma vie.»

Ses premières années de femme n'ont pas été évidentes. La loi belge ne lui permettait pas d'avoir une carte d'identité féminine. Pour gagner sa vie, elle a dû se prostituer à Anvers. «À l'époque, les transsexuels étaient écartés, marginalisés, rejetés de tous. On était des beaux monstres qui n'avaient aucune place dans la société» raconte-t-elle comme elle l'a déjà fait dans le spectacle Regarde maman, je danse présenté au Théâtre La Chapelle en 2008.

Aujourd'hui, Vanessa est moins jeune et moins jolie qu'en sortant de la clinique de Casablanca, mais elle affirme qu'elle est beaucoup plus heureuse et épanouie. Mariée pendant 16 ans à un antiquaire dont elle a finalement divorcé, elle vit aujourd'hui à Gand, sa ville natale qui est devenue un centre mondial de recherche et de traitement de la dysphorie. «Parfois, je rêve de rencontrer un bel homme grisonnant de mon âge, mais je sais que c'est impossible. Ces hommes-là ne veulent pas d'une femme de 63 ans qui fait un peu d'embonpoint. Ils veulent une fille de 30 ans. J'ai décidé de faire comme eux et de vivre avec un homme plus jeune que moi.»

Gardenia

Dans Gardenia, spectacle de danse-théâtre mis en scène par le tandem Alain Platel et Frank Van Lecke, elle interprète une transsexuelle un brin fanée qui vient annoncer la fermeture du cabaret Gardenia à sept hommes en complet. Pour une dernière soirée, ces hommes qui sont commis, fonctionnaires et infirmiers vont se maquiller, se coiffer et s'habiller en créatures de rêve sur des airs de Dalida, Aznavour et Ravel.

Le projet est sorti de la tête de Vanessa après qu'elle eut appris la fermeture d'un symbole immuable: la pâtisserie Bloch, la pâtisserie la plus connue et la plus réputée de Gand depuis 1909. Elle a alors imaginé un vieux cabaret où de vieux artistes feraient un ultime tour de piste avant la fermeture.

Puis elle est partie à la recherche de vieux amis qu'elle avait connus dans les clubs de travestis puis perdus de vue. Elle les a tous retrouvés. Certains avaient changé de sexe, d'autres menaient des vies normales de commis, de fonctionnaires et d'infirmiers. Loin de les étonner, sa proposition de remonter sur scène, sous la direction du grand Alain Platel, les a emballés. Tous ont accepté de suspendre temporairement leurs activités pour se joindre au spectacle.

Gardenia a été créé à Gand à l'hiver 2009 avant de faire un malheur au festival d'Avignon l'été suivant. Depuis, les interprètes de Gardenia, auxquels s'ajoutent un jeune danseur russe et une jeune comédienne, ont pratiquement fait le tour du monde en présentant cette Mélodie du bonheur, façon transsexuelle.

Pourtant, le spectacle ne parle pas de dysphorie, mais de vieillissement. Mieux encore: à 63 ans, Vanessa y revendique le droit de vieillir au naturel sans Botox ni chirurgie plastique. «Les femmes n'ont plus le droit de vieillir normalement. On est prêts à accepter qu'elles aient 60 ans pour autant qu'elles en fassent 30 ans de moins. Mais on a l'âge qu'on a et il faut s'accepter tel qu'on est et savoir être heureux avec ce qu'on a.»

Venant d'un homme qui ne s'acceptait tellement pas qu'il a changé de sexe, cela peut sembler un brin ironique. Mais pour Vanessa, c'est une façon de boucler la boucle et de se réconcilier avec cette vie qui lui a donné le mauvais genre avant de l'aider à s'en échapper.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Vanessa Van Durme, première transsexuelle belge et meneuse de piste du spectacle Gardenia d'Alain Platel qui prend l'affiche au Monument National ce soir dans le cadre du FTA.