À Paris, en mai 1968, sous les pavés, il y avait la plage. C'est du moins ce que clamait ce slogan idéaliste des manifestants qui arrachaient les pavés et les balançaient aux flics au nom d'un monde meilleur.

À Montréal, en avril 2011, sous les pavés, il n'y a pas de plage idéale, pas de monde meilleur. Il n'y a que des joints usés: 12,5 kilomètres linéaires de joints usés qu'il faudra refaire afin d'éviter que les pavés se soulèvent et s'envolent. Autre époque, autres préoccupations.

C'est une photo publiée dans le 24 heures, journal distribué gratuitement dans le métro, qui a lancé le bal. Sous la mention place des Festivals, on y voyait un carré calamiteux de dalles fissurées et soulevées, semblables aux plaques tectoniques d'un continent à la dérive. Même pas deux ans et voilà déjà que la place des Festivals fout le camp, ai-je soupiré dans mon for intérieur. J'ignorais qu'il s'agissait d'une fausse photo ou du moins d'une photo prise ailleurs (à Laval ou Tokyo, qui sait?) et qui a été utilisée de manière assez malhonnête, merci.

Sauf que... Il y a effectivement un problème à la place des Festivals. Les dalles de granite ne sont ni craquées ni décollées, mais les joints qui les scellent se sont usés prématurément. Ils devront être refaits au complet pour la modique somme de 644 000$. Les raisons sont multiples et vont de la pression indue exercée par l'eau des 270 fontaines jusqu'à l'enfer de l'hiver québécois qui, de gel en dégel, n'en finit plus de finir, en passant par le poids des camions lors du démontage des spectacles et celui, sans doute, des milliers de festivaliers en goguette qui se déversent sur la place l'été et y sautent à pieds joints, des heures durant. Mais peu importe les raisons, cette première tuile dans la courte histoire de la place nous dit que la Ville de Montréal n'a pas prévu le coup. Une fois de plus, on s'est lancé dans une aventure dont la solidité et la pérennité sont éprouvées après seulement deux ans. Imaginez dans 10 ou 20 ans!

À la Ville, on m'a assuré que c'était impossible de prévoir l'usure prématurée des joints, notamment parce qu'il n'existe pas, nulle part ailleurs, une place des Festivals comme la nôtre. Permettez-moi de penser que la Ville charrie un peu en invoquant le caractère furieusement unique de la place des Festivals. Montréal n'a quand même pas inventé les fontaines modernes, ni les places publiques, ni les écarts de température. La Ville invoque aussi l'impossibilité de faire des tests sur les lieux mêmes. Pourquoi? On l'ignore. Des tests ont été conduits en laboratoire par les experts de la Ville pour qui tout allait bien dans le meilleur des mondes avant que la réalité vienne gâcher leur party. La prochaine fois, sortez de votre labo, les boys...

Le monde des joints n'est pas très diversifié. Au départ, la Ville avait le choix entre deux technologies: le joint en ciment granitaire ou le silicone. La Ville a opté pour le ciment granitaire, plus joli et légèrement moins cher. Mais le joli n'a pas tenu.

Les nouveaux joints seront en silicone.

La place des Festivals n'est pas la Via Venetto ni les Ramblas de Barcelone, comme nous le promettait le maire à l'époque. Mais c'est une place qui a de la gueule et qui a réussi à ne pas mourir d'ennui durant l'hiver grâce aux installations d'artistes et de designers et à la vie générée par les deux excellents et sympathiques restaurants qui la bordent. Reste que cette tuile de 644 000$ est décevante et inquiétante. Espérons que c'est la première et la dernière. Le cas échéant, il faudra aller manifester et revendiquer un monde meilleur avec un maire, des experts et des ingénieurs qui savent ce qu'ils font.