Lundi à Los Angeles, mardi à Londres, hier à Berlin. La semaine qui s'achève est, de l'aveu des membres d'Arcade Fire, la plus excitante de leur vie. «Tellement excitante qu'on a perdu le fil. On ne sait plus quelle heure ni quel jour on est», a lancé hier Win Butler d'un air euphorique et légèrement sonné dans la grande salle de l'ambassade du Canada, où il venait d'atterrir en formation réduite avec son frère Will et sa compagne Régine Chassagne.

Organisée à la dernière minute, après les deux éclatantes victoires du groupe aux Grammy puis aux British Music Awards, cette rencontre de presse «en territoire canadien» avait pour but de présenter à la presse internationale Scenes From the Suburbs. Ce court métrage de 30 minutes est le prolongement du CD d'Arcade Fire. Il a été scénarisé par les frères Butler et réalisé par Spike Jonze qui, hier, brillait par son absence. Autant dire que pour le Canada, c'était une occasion en or de profiter de la visibilité d'Arcade Fire, même si en recevant son Grammy de l'album de l'année, le groupe n'a pas remercié le Canada, mais Montréal et le Québec.

Quel était le message qu'Arcade Fire voulait passer aux Américains par ce merci en français?

«Aucun message. Montréal, c'est ma ville. C'est là que j'ai grandi. Mon merci venait du fond de mon coeur», a vivement répliqué Régine Chassagne. Win Butler a complété. «C'était juste qu'en pensant au chemin que nous avons parcouru pendant toutes ces années jusqu'aux Grammy, on voulait souligner que tout a commencé pour nous à Montréal. C'est tout.»

Interrogé plus tard sur ce qu'on ressent devant une telle consécration, Win Bulter a répondu: «On n'a pas encore complètement réalisé ce qui nous arrive. Mais j'avoue qu'en entendant notre nom à la fin de la soirée aux Grammy, j'ai eu l'impression que le monde venait de pencher un peu plus vers la gauche, comme quand Obama a remporté la Caroline-du-Nord.»

Et il ajoute: «Le lendemain, quand j'ai appris que la 10e question la plus demandée sur Google était: qui est Arcade Fire, j'ai su que nous avions atteint notre but. Nous étions arrivés au sommet! Nous les avions tous confondus.»

Confondre les gens est un sport qu'Arcade Fire pratique avec délectation. C'est d'autant plus évident dans Scenes From the Suburbs, film étrange, cafouilleux, mais intense qui suit un groupe de jeunes dans une banlieue au Texas transformée en zone de guerre avec chars d'assaut et soldats cagoulés et armés d'AK47.

Un journaliste a plaidé que ces images de guerre étaient habituellement réservées au tiers-monde. Pourquoi les avoir parachutées aux USA? «On était conscients qu'on faisait quelque chose de limite», a répondu avec hésitation Will Butler avant que son frère Win ne vienne à sa rescousse. «L'armée sert de background surréaliste pour raconter les relations et les tourments de l'adolescence. Bref, faut pas trop chercher à comprendre.»

En effet. Il n'y a rien à comprendre dans ce film, sinon qu'il est fidèle au style déjanté de Spike Jonze et moins efficace que le magnifique CD dont il découle.

Après leur courte virée à la Berlinale, les membres d'Arcade Fire reviennent à la maison, à Montréal, pour deux mois de répit. Hier, ils ignoraient que l'Assemblée nationale du Québec voulait leur rendre hommage et bien franchement, cela ne semblait pas trop les préoccuper.

L'habit ne fait pas toujours le nazi

Un autre film de méchants nazis? C'est ce qu'on croyait avant la projection du film autrichien Mon meilleur ennemi. Mais non. En Europe, les mentalités ont évolué, de même que la manière de traiter du nazisme au cinéma. Ce film de Wolfgang Murnberger en est la preuve. Au coeur du récit, deux grands amis, Victor, descendant de quatre générations de juifs, et Rudi, Autrichien enrôlé chez les SS.

Par un concours de circonstances provoqué par un tableau de Michelangelo et arrangé avec le gars du scénario, Paul Hengge, Victor se retrouve dans l'uniforme des nazis et Rudi, dans celui des prisonniers des camps. Échange d'habits, mais surtout troublant inversement de rôles. À la fin, Victor n'est pas la victime, mais le «winner» qui gagne la fille, l'argent, le tableau et une vie après Hitler.

Pendant longtemps, le cinéaste Wolfgang Murnberger a cru que La liste de Schindler était la seule façon de faire un film politiquement correct sur le sujet. Mais La vie est belle et Inglorious Basterds l'ont convaincu qu'il y avait une autre voie où l'humour et l'ironie pouvaient se glisser. Reste que sans la caution d'un scénariste d'origine juive, il a avoué qu'il n'aurait jamais osé cette aventure. Un courant vient-il de naître qui laissera les juifs être des vainqueurs plutôt que des victimes au cinéma? C'est à suivre.

Photo: AP

Win Butler aux Brit Awards mardi soir.