La mise à mort a été prononcée la semaine dernière par nul autre que monseigneur Turcotte, grand patron de l'archevêché de Montréal. Dans une volte-face précipitée et un brin douteuse, le cardinal a scellé le sort de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus sans la moindre émotion. Comment? En annonçant le démantèlement du grand orgue Casavant et la transformation de l'église qui l'abrite en logements sociaux.

Or, face à un bâtiment aussi imposant, qui dit transformation, non seulement emploie le mot à tort mais avec une délicatesse toute hypocrite qui ne sert qu'à masquer une brutale éventualité: la démolition.

Pas besoin d'être un architecte pour comprendre que pour être transformée, Très-Saint-Nom-de-Jésus devra forcément être démolie. Le cardinal ne l'a pas dit, mais il n'en pense pas moins.

Ainsi, par une étrange ironie du sort, le prince de l'Église, gardien de la foi et de ses bâtiments, le seul qui aurait pu sauver Très-Saint-Nom-de-Jésus, l'a condamnée à mort.

Pour ce qui est du magnifique orgue Casavant, joyau d'une somptueuse couronne, conçu expressément en fonction de l'architecture et de l'acoustique de Très-Saint-Nom-de-Jésus, il sera démantelé et bradé au plus offrant comme une vulgaire pièce de machinerie agricole.

Le démantèlement est non seulement coûteux (un minimum de 750 000 $), il est parfaitement absurde, comme l'ont souligné plusieurs organistes de renom qui participaient au point de presse du Comité de sauvegarde de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, lundi.

Démanteler cet orgue, a fait valoir l'un, c'est comme arracher les cordes d'un Stradivarius et les disperser aux quatre vents. Déménager cet orgue, a fait valoir l'organiste Sylvie Poirier, c'est comme dépouiller quelqu'un de ses vêtements et l'envoyer tout nu dans la rue. Pour cette dernière, qui a enregistré deux CD sur l'orgue Casavant en question, le déménagement de ce merveilleux instrument pourvu de 90 jeux et de 6500 tuyaux lui fera perdre la moitié de sa personnalité et de ses couleurs sonores.

Mais l'Église n'est pas la seule fautive dans l'histoire. Il y a aussi le ministère de la Culture qui a refusé de classer l'édifice, le privant par la même occasion d'un sursis et éventuellement d'une deuxième vie grâce au projet de salle de concert et de Maison de l'orgue imaginé par le comité de sauvegarde.

Dans une lettre datée du 20 septembre et même pas signée par la ministre St-Pierre, la direction du ministère à Montréal écrit que l'enveloppe du bâtiment est sans intérêt et que son décor intérieur ne se démarque pas de la production de l'époque. Bref, qu'on s'en débarrasse au plus sacrant! Tant pis pour l'or qui tapisse ses murs, tant pis pour les quatre anges sculptés par Alexandre Carli, tant pis pour les fresques importées d'Europe et pour cet imposant tableau de la Pentecôte peint par Georges Delfosse. Pourquoi se donner la peine d'une restauration quand on peut jeter au rebut ses choux gras?

Ce qui est bizarre, c'est que lorsque le ministère a accordé une subvention de plus de 300 000 $ pour restaurer l'orgue Casavant du Très-Saint-Nom-de-Jésus il y a quelques années, ni les fonctionnaires de la Culture ni le cardinal Turcotte n'ont remis en cause la valeur de l'église qui l'abritait. Au contraire. Tous étaient prêts à célébrer la beauté de ce joyau, incrusté depuis 1905 au coeur de Hochelaga-Maisonneuve. Aujourd'hui, le joyau n'est plus à leurs yeux qu'un vieux débris pour lequel on est prêt à dépenser 750 000 $ en frais de déménagement et 1 million en frais de démolition, pour le rayer à jamais du paysage. Dire que ces sommes additionnées pourraient à la fois payer les travaux d'urgence et assurer l'entretien de l'édifice pendant 10 ans!

Quant aux gens de Hochelaga-Maisonneuve attachés au Très-Saint-Nom-de-Jésus et désormais privés du Festival orgues et couleurs qui s'y tenait depuis 12 ans, personne ne se soucie d'eux. Pis encore: on leur donne en échange de ce trésor une poignée de logements sociaux qui viendront s'ajouter aux logements sociaux déjà imaginés pour l'église voisine. Une façon de dire aux gens de Hochelaga-Maisonneuve qu'au lieu de vouloir avoir accès à la beauté, à la musique et à la culture, ils feraient mieux de se contenter du toit à prix modique qui leur est offert. C'est l'aspect le plus navrant de cette affaire où une élite religieuse et culturelle dit à tout un quartier qu'il est né pour un petit pain et pour un petit HLM. C'est aussi la meilleure façon de mépriser un quartier et, au bout du compte, de le démolir moralement.

CORRECTION

Ma chronique du 29 septembre sur la crise d'Octobre laissait planer deux ambiguïtés au sujet de l'avocat et négociateur du gouvernement Robert Demers. En apprenant que les policiers ont obtenu les noms des ravisseurs de Cross et Laporte tôt dans l'histoire, l'avocat n'a jamais remis en cause les mesures de guerre. Il a plutôt déclaré sur les ondes de la SRC: «Ils (les policiers) ne le savaient pas. Ne me dites pas ça!» De plus, même si l'avocat affirme à la caméra que Pierre Laporte est mort étouffé dans un moment de panique, il ne le savait pas au moment où les faits sont arrivés. Désolée pour ces malentendus.