«L'idée en arrière de ça, a dit Guy Laliberté en conférence web depuis Moscou, c'est d'essayer de garder une certaine humilité.» Humilité, le mot a résonné comme un gong dans mes oreilles molles sans que je comprenne en quoi une mission spatiale sociopoétique dont le coût pour un seul homme-passager-touriste est évalué à 35 millions pouvait être un exercice d'humilité.

Une dépense folle? Sans aucun doute. Un trip de milliardaire? Aussi. Un défi sportif et personnel pour combattre l'ennui? Un viagra moral pour réveiller une ambition blasée par trop de succès? Aucun problème avec ça. Mais un exercice d'humilité?

 

J'ai appuyé sur le bouton pause et je me suis précipitée sur mon dictionnaire. Humilité: sentiment de sa faiblesse et de son insuffisance qui pousse l'homme à s'abaisser volontairement en réprimant tout mouvement d'orgueil.

J'avoue que j'ai de la difficulté à concevoir qu'un homme qui s'envole dans l'espace et qui, pendant 10 jours, va regarder la Terre de haut puisse s'abaisser à quoi que ce soit. Mais bon, peut-être que se connaissant, Guy Laliberté a tenté de réprimer son penchant naturel pour l'orgueil et la prétention en annonçant publiquement que pour une fois il va tenter de rester humble. Un gars s'essaie...

Quoi qu'il en soit, il faudrait que dans ce bel élan d'humilité, Guy Laliberté ne se contente pas de parler. En plus de se soumettre à une batterie de tests physiques et à un entraînement intensif comme celui qu'il suit religieusement depuis 150 jours, il faudrait qu'il apprenne à parler français. Correctement.

Mercredi, pendant la conférence web, la qualité de la langue de Laliberté était tout simplement pathétique. «Quand j'ai imaginé cette mission pour l'eau, je l'ai faite à cause de l'inspiration que ça me touchait... Par l'artistique, je voulais toucher les personnes, comme outil principal. L'eau touche toutes les crises dans le monde.»

Eau secours! Y a-t-il un professeur de français dans la navette spatiale? Et sinon, est-ce que Yann Martel, qui vient d'hériter du titre et de la tâche de poète spatial officiel en remplacement de Claude Péloquin, pourrait lui écrire ses discours? C'est urgent.

Pourtant, Guy Laliberté n'est pas un illettré même s'il a quitté l'école à 15 ans. Depuis le mois d'avril, sur le site de sa fondation One Drop, il tient une sorte de journal de bord de son aventure au pays des spoutniks. Chaque jour, Laliberté rend compte par écrit de ce qu'il lui arrive à Star City comme à Ibiza, Monaco, Paris ou Montréal. Son écriture n'est pas animée par un grand souffle littéraire, mais elle est simple, claire et dépourvue de la moindre faute d'orthographe ou de syntaxe. J'ose imaginer que c'est lui qui rédige son journal, mais après l'avoir entendu parler, je m'interroge.

Je ne suis pas sans savoir que le guide du Cirque du Soleil est un grand polyglotte et que les grosses affaires internationales qu'il brasse, il les brasse en anglais. À entendre la construction de ses phrases, les anglicismes qu'il utilise à profusion et les détournements de sens qu'il impose aux mots, il est clair que sa langue maternelle a été complètement contaminée et dénaturée par l'anglais. Mais est-ce une raison pour laisser les choses aller sans chercher à les corriger ou à les améliorer?

Guy Laliberté avait peut-être besoin de s'envoler dans l'espace pour mettre un peu de piquant dans sa vie, mais il n'avait pas besoin de transformer le voyage en mission sociale et aquatique. En défendant la cause de l'eau et en se targuant de communiquer un message à l'humanité, Guy Laliberté se doit de soigner son message, de le rendre clair, cohérent et de le livrer dans une langue intelligible. Mercredi, c'était loin d'être le cas.

Guy Laliberté croit-il vraiment que l'humanité à qui il veut lire un poème comprend un seul mot au charabia spatio-poético-cosmique qui sort de sa bouche? Si oui, cet homme manque vraiment d'humilité.