Deux sur cinq: c'est le nombre de films en nomination aux Oscars que j'ai vus. Je vais évidemment profiter du mois prochain pour faire mes devoirs et arriver fin prête pour le grand soir, le 22 février. En attendant, deux sur cinq pour une cinéphile comme moi, ce n'est pas les gros chars. En même temps, c'est mieux qu'aucun film sur cinq, ce qui semble être devenu le lot de la plupart des téléspectateurs qui regardent les Oscars à la télé pour voir défiler les vedettes et se rendre compte qu'ils n'ont aucune idée des films dans lesquels tout ce beau monde joue.

Le grand paradoxe, c'est que les vedettes de cinéma n'ont jamais occupé autant d'espace médiatique, n'ont jamais eu autant d'émissions de télé, de magazines et sites qui leur sont consacrés. Et pourtant, pendant qu'ils alimentent la chronique, font tourner la grande roue et nourrissent l'ogre médiatique, les spectateurs boudent leurs films, tandis que les téléspectateurs désertent leur grand gala annuel. L'année dernière, les cotes d'écoute de la cérémonie des Oscars étaient à leur plus bas avec 32 millions de téléspectateurs. L'année du Titanic, en 1998, il y en avait au moins 20 millions de plus. Où sont-ils tous partis?

 

Selon les producteurs de la cérémonie de cette année, Laurence Mark et Bill Condon, le seul moyen de ramener le public dans la maison d'Oscar, c'est de retrouver l'esprit de fête et de spontanéité qui animait autrefois la soirée. Pour ce faire, les deux ont promis d'inclure davantage de films grand public au menu. Pourtant, lorsqu'on examine la liste des titres en nomination dans la catégorie du meilleur film de l'année, seul The Curious Case of Benjamin Button, avec Brad Pitt, a rejoint le grand public avec des recettes de plus de 100 millions. Les autres, qu'il s'agisse de Slumdog Millionaire (43 millions), Milk (20 millions), Frost Nixon (8 millions) ou The Reader (7 millions) n'ont jamais réussi à franchir ce cap psychologique et financier. Pourtant, tous ces films sont loin d'être des oeuvres hermétiques, intellos et peu accessibles. Tout le contraire. Même qu'un film comme Slumdog Millionaire, qui commence dans les bidonvilles repoussants de Bombay et se termine sur le plateau high-tech de Who Wants to Be a Millionaire est dangereusement démagogue et populiste. Sa fin rose bonbon est digne de la plus niaiseuse des comédies romantiques américaines. Quant à Milk, basé sur la vie de Harvey Milk, le premier militant gai à être élu et à siéger au sein d'une administration publique avant d'être froidement abattu par un autre élu, c'est le film le plus accessible et même le plus académique de Gus Van Sant.

Bref, si le grand public n'était pas au rendez-vous pour ces films et pour les autres qui se retrouvent en nomination, c'est peut-être en partie à cause des sujets de ces films, mais aussi parce que l'expérience cinématographique n'en finit plus de perdre de sa valeur alors que de plus en plus de gens se disent: pas la peine d'aller voir le film, il va sortir en DVD.

Et c'est un peu normal. Car dès l'instant où, à tous les trois coins de rue, en ville comme à la campagne, le jour comme le soir, vous pouvez rentrer dans un local, choisir un titre et repartir avec un film dans une séquence qui dure à peine 15 minutes et coûte moins de 5$, pourquoi iriez-vous payer un stationnement, faire la file et vous battre avec votre prochain pour un siège collant? Je ne vois qu'une raison: pour l'immense bonheur de s'enfoncer dans le noir, de disparaître de l'écran radar, de couper les ponts avec le quotidien et de s'abandonner à une histoire racontée sur grand écran. Sans compter que le 22 février, quand commencera la cérémonie des Oscars, vous pourrez briller parmi tous vos amis qui n'ont vu aucun des films et qui attendent encore le DVD.