Elle a la même voix au bout du fil, triste, posée, remplie de points d'interrogation. Dix ans après la tragédie de Dawson, la mère du tueur Kimveer Gill est tourmentée par la même question : pourquoi son fils, armé jusqu'aux dents, a-t-il tiré sur des élèves ?

Depuis 2006, je lui ai parlé trois fois, de brèves conversations téléphoniques, où elle répondait à mes questions avec résignation. La première fois, c'était deux mois après la tragédie. Les journalistes avaient campé pendant des jours devant sa maison. C'était une femme traquée, noyée dans une peine trop grande pour une mère. Comment ne pas s'effondrer quand votre fils est un assassin et que son visage tourne en boucle à la télévision ?

« À l'intérieur de moi, je suis morte, m'avait-elle dit. Je m'endors quelques minutes, puis je me réveille en sursaut, affolée par une crise d'anxiété. Tout mon corps me fait mal. C'est trop. »

En 2011, cinq ans après la tragédie, je lui ai parlé une deuxième fois. « Ma vie a complètement changé, m'avait-elle confié. Je ne suis plus la même personne. Tous les souvenirs sont là, toujours aussi envahissants. Les gens ne peuvent pas imaginer ma douleur. J'y pense constamment, à chaque instant, même après cinq ans. C'est tout le temps dans ma tête, peu importe ce que je fais. »

Vendredi, j'ai de nouveau conversé avec elle. Le temps n'a pas anesthésié sa douleur. 

Parvinder Sandhu, la mère de Kimveer Gill, est toujours sous le choc, comme si 10 ans ne s'étaient pas écoulés depuis la tragédie. 

Sa vie s'est arrêtée le 13 septembre 2006 quand son fils a fait irruption à Dawson armé d'une carabine semi-automatique, d'un pistolet et d'un fusil de chasse. La tuerie a duré 20 minutes. Kimveer Gill a eu le temps de tirer 72 balles, tuant une élève, Anastasia De Sousa, et blessant 19 personnes, avant de se tirer une balle dans la bouche. 

Ce jour-là, Parvinder Sandhu a suivi le drame à la télévision, comme le reste du Québec, sans se douter que le tueur était son fils. 

« Probablement qu'il se passait des choses dans sa tête, m'a-t-elle dit vendredi. Ça me préoccupe beaucoup. S'il avait été un enfant difficile, ç'aurait été une autre histoire, mais il n'était pas difficile du tout. »

« Ce qu'il a fait, ce n'est pas lui. Je me pose des questions, des questions et des questions. Pourquoi est-ce arrivé ? Pourquoi il a fait ça ? C'était un enfant affectueux, il n'avait jamais fait de mal à personne. »

« En 2006, ce n'était pas lui, ce n'était pas dans son caractère. Je ne comprends pas, ça me dérange énormément. Je me pose beaucoup de questions. »

Les journalistes, après enquête, ont décrit Kimveer Gill, 25 ans, comme un être antisocial doté d'une personnalité tourmentée. Amateur de death metal, il consommait de la drogue et de l'alcool. Avant sa mort, il a rédigé une lettre de quelques paragraphes où il parlait de la haine qui l'habitait. 

***

Depuis la tragédie, les parents de Kimveer Gill vivent dans la même maison, située dans une rue tranquille de Fabreville. 

« Je ne voulais pas déménager. Mon fils avait 6 ans quand on s'est installés ici. J'ai des bons souvenirs. C'était un enfant bien [a very good child]. Il était exceptionnel à l'école et au travail. Je ne sais pas ce qui est arrivé. »

Elle se tait. 

« Je ne veux pas donner d'entrevue parce que ça ne changera rien. Ça me rend malade, malade et dépressive, très dépressive. Les souvenirs remontent. Peut-être un jour, mais pas maintenant. Je ne suis pas prête, je ne suis pas assez forte.

 - Travaillez-vous ? 

 - Non, c'est difficile. Tout a changé pour toujours. Je ne suis pas la même personne. Je ne suis pas assez forte pour en dire plus. 

Elle vit avec son mari. 

 - Comment va-t-il ?

 - Il n'a jamais parlé à personne. So... that's it.

Elle a une pensée pour Anastasia De Sousa, criblée de balles par son fils. 

« Je suis vraiment désolée pour la fille. Je n'ai jamais parlé à ses parents. Au début, j'ai essayé, mais à la radio, ils ont dit qu'ils ne voulaient rien savoir. J'ai décidé de me taire. [...] D'autres journalistes m'ont appelée, mais je ne donne aucune entrevue. Merci d'avoir appelé. 

 - Puis-je vous citer ? 

 - Oui. 

 - Est-ce que je peux vous rappeler lundi ? 

 - Non. »

J'ai raccroché et je me suis demandé comment la mère d'un tueur fou réussissait à vivre. La réponse est évidente : mal, très mal.

Photo Martin Tremblay, Archives La Presse

210431, Montréal--Au lendemain de la fusillade au College Dawson, les enquêteurs étaient toujours sur la scène de crime, rue Maisonneuve. (Cahier Général) Photo Martin Tremblay/La Presse 2006-09-14

Photo Martin Tremblay, Archives La Presse

Des policiers montaient la garde devant le Collège Dawson, au lendemain du drame.