Michèle Ouimet vient de passer quatre mois à Paris. Un congé qu'elle se promettait depuis longtemps. Elle raconte la Ville Lumière comme elle l'a vécue, le temps d'une saison.

Quand je suis arrivée à Paris en janvier, la ville, encore traumatisée par les attentats, était en état de siège. Dans les lieux touristiques, les policiers se promenaient par groupes de trois, leurs énormes mitraillettes collées contre leur poitrine.

Dans les grands magasins, des gardiens de sécurité fouillaient consciencieusement les sacs. Les Parisiens, patients, se pliaient aux consignes de sécurité sans rechigner.

Puis, la surveillance s'est relâchée. Les gardiens ne jetaient plus qu'un oeil distrait dans les sacs et les policiers armés se faisaient de plus en plus rares. La vie reprenait ses droits. Il faut dire que Paris a connu des guerres et des bombardements, sans oublier l'occupation allemande. La résilience du peuple français est impressionnante.

À mon arrivée, je me suis précipitée près des lieux des attentats, le Bataclan, toujours fermé, avec sa façade défraîchie, la place de la République avec ses chandelles et ses messages d'espoir lavés par les intempéries. Une pluie fine et froide tombait sur la ville. L'hiver est humide et gris à Paris.

Comme les Français, j'ai vite oublié la prudence, les menaces latentes et la peur. Je me suis promenée dans Paris sans penser aux attentats, oubliant que des kamikazes fous s'étaient fait exploser en novembre, tuant 129 personnes.

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J'ai vécu quatre mois à Paris dans un appartement microscopique du 18e arrondissement, en haut de la butte Montmartre, près de la basilique du Sacré-Coeur qui domine la ville. J'ai sillonné Paris à pied. Beau temps, mauvais temps, je quittais ma Butte pour me perdre dans les rues de la ville. Je marchais souvent jusqu'aux mythiques Galeries Lafayette situées sur le boulevard Haussmann, je continuais parfois vers le sud, je croisais l'Opéra Garnier, la Madeleine et la Concorde, cette grande place nue où trône un obélisque donné par les Égyptiens à la France dans les années 1830. À droite les Champs-Élysées, à gauche les Tuileries et le Louvre, le coeur historique de Paris avec ses monuments émouvants et ses hordes de touristes, même en hiver.

Je traversais ensuite l'un des nombreux ponts qui enjambent la Seine pour aboutir sur la rive gauche dans Saint-Germain-des-Prés. Je buvais du thé hors de prix au café Les Deux Magots où Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre et le gratin intellectuel de l'après-guerre se réunissaient pour discuter politique et écrire des chefs-d'oeuvre. Et je soupirais d'aise, heureuse d'être là, tout simplement.

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J'ai aussi découvert Paris en joggant, exercice périlleux entre tous.

J'ai appris à zigzaguer entre les voitures, à sautiller en attendant que les feux de circulation passent au vert, à me faire klaxonner par des conducteurs impatients avant d'aboutir dans le parc Monceau, lové dans un quartier cossu à 10 minutes de marche de l'Arc de triomphe, un parc d'une beauté classique avec sa colonnade corinthienne, ses statues en marbre, son bassin d'eau où barbotaient des canards et ses trop nombreux joggeurs qui couraient en rangs serrés, comme si tout Paris s'y était donné rendez-vous pour avaler des kilomètres.

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Qui a dit que les Parisiens étaient insupportables ? Ils sont accueillants et ils aiment les Québécois. Impossible d'ouvrir la bouche sans se faire repérer : « Vous venez du Québec ? J'adooore votre accent ! » Puis ils me demandaient de répéter ce que je venais de leur dire : 

« Vous avez dit six ou dix saucisses ?

- Six.

- Dix ?

- Non, six, 1, 2, 3, 4, 5, ... 6 ! »

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Je ne peux pas terminer cette chronique sans vous parler des piscines publiques. Une fois par semaine, je prenais le métro jusqu'à Belleville, un quartier populaire de Paris, pour nager dans la piscine Alfred Nakache, un bassin de 25 mètres éclairé par la lumière du jour.

Première surprise : les vestiaires et les douches étaient mixtes, hommes, femmes et enfants confondus. Des barbus ventripotents, des adolescents aux hormones en bataille, des enfants surexcités et des mères impatientes, tous ensemble, coincés dans des vestiaires étroits.

Deuxième surprise : l'absence quasi totale de discipline des Parisiens qui squattaient le couloir des rapides même s'ils nageaient une brasse paresseuse. Un vrai bordel. Et si j'osais leur demander poliment d'aller barboter dans les autres couloirs, ils m'engueulaient. On m'a déjà répondu : « Non, mais, ce n'est pas Sotchi ici ! »

Gentils, les Parisiens, mais pas dans les piscines.