L'horreur. Le cauchemar. Les morts qui s'additionnent dans une comptabilité macabre. D'abord 30, puis 40, 60, 100, 120. Cent au Bataclan seulement, la salle de spectacles située à un coin de rue de mon ancien appartement à Paris, où j'ai vécu pendant quatre mois.

Je fixe la télévision, incrédule, complètement sonnée.

Les terroristes ont frappé aveuglément six endroits différents. Ils ont tué des civils innocents. Ils ne visaient pas un groupe en particulier, comme les journalistes de Charlie Hebdo qui avaient caricaturé Mahomet.

Hier, Paris a vécu un Charlie Hebdo à la puissance 10.

Le 7 janvier, jour de la tuerie, j'avais vécu la même incrédulité. Je suivais le fil de presse, prête à écrire, même si les informations filtraient au compte-gouttes. Il était 10h du matin. Mes patrons sont venus me voir.

«Partirais-tu à Paris? Ce soir?»

J'ai eu le vertige. Paris. Plonger dans le chaos, chercher des témoins, raconter l'horreur, trouver les mots, sillonner le 11e arrondissement où les terroristes avaient frappé.

J'ai accepté même si je savais que cette couverture ne serait pas facile: la horde de journalistes qui court après les mêmes témoins, la folie meurtrière impossible à décrire, Paris sens dessus dessous, traumatisée par la violence de l'attaque, Paris bouclée par la police. La France qui essaie de comprendre. La France restée digne dans le malheur, évitant de tomber dans la xénophobie.

J'avais parlé à un survivant, Laurent Léger. Il était dans la salle de réunion de Charlie Hebdo quand un des frères Kouachi avait fait irruption.

«Il portait des gants, une cagoule et il était lourdement armé, m'avait-il raconté. Il occupait toute l'embrasure de la porte, Il a crié deux fois "Allahou akbar!", puis il s'est mis à tirer comme un fou.»

Tout s'était passé en quelques secondes. La pièce était petite. Contre le mur, deux tables. C'est sous l'une d'elles que Laurent Léger avait plongé, un réflexe qui lui avait sauvé la vie.

«J'étais recroquevillé, je faisais le mort, j'étais terrifié. J'ai pensé aux gens que j'aime.»

Il avait entendu les pas du tueur, les tirs précipités de son arme, les corps qui tombaient, mais il ne voyait que la tête de son collègue Wolinski, 81 ans.

«Je voyais son crâne lisse, un crâne de vieux. Je ne savais pas s'il était mort. Je n'ai pas voulu le toucher ni faire un geste, même après le départ du tueur. J'avais trop peur qu'il revienne et qu'il me tue. Vous comprenez? J'étais terrorisé.»

Dans cette petite pièce, tout n'avait été que peur, hécatombe et stupéfaction.

Laurent Léger m'avait raconté son histoire avec un calme surnaturel, comme si ses émotions étaient anesthésiées.

Je n'ose imaginer la scène au Bataclan.

Je pensais que la France avait vécu le pire, mais le pire est arrivé hier. Les premiers témoignages ont commencé à sortir sur Facebook.

«Je suis encore au Bataclan, 1er étage. Blessée grave. Qu'ils donnent au plus vite l'assaut. Il y a des survivants à l'intérieur. Ils abattent tout le monde. Un par un. 1er étage vite!!!!»

Des témoignages qui chavirent le coeur.

Hier soir, le président Hollande a annoncé que la France fermait ses frontières. J'ai tout de suite pensé aux réfugiés qui cognent à la porte de l'Europe. Vont-ils payer le prix de ces assassinats? Et si l'Europe basculait dans la peur? Et si cette tuerie provoquait des réflexes xénophobes?

Est-ce que les gouvernements vont réussir à garder la tête froide et à ne pas tout mettre dans le même panier: les réfugiés, la Syrie, le groupe État islamique?

Aujourd'hui, on en saura davantage sur le qui, le quoi et le pourquoi. On essaiera de comprendre l'incompréhensible. Pour l'instant, pleurons les morts.