Même s'il y a eu une commission sur les accommodements raisonnables où le Québec a discuté, décortiqué, réfléchi, analysé en long et en large l'explosif sujet de la tolérance, on se pose toujours les mêmes questions quand un incident à saveur religieuse survient. On tolère? On trouve un arrangement? On punit? Où tracer la ligne?

On n'a jamais de réponse toute faite. On s'égare, surtout quand la controverse touche l'islam. Eh oui, les musulmans encore et toujours, surtout dans le contexte actuel, où les sensibilités sont à fleur de peau à la suite de la tuerie de Charlie Hebdo et des dangers de radicalisation. L'islamophobie n'est jamais loin. Les grandes gueules de la radio et de la télé sont toujours prêtes à casser du sucre sur le dos des musulmans et à mettre tout le monde dans le même panier, les modérés et les Chaoui de ce monde, et tant pis pour les nuances!

Dernière controverse: l'affaire Chaoui, cet imam qui a dit que la démocratie est inacceptable, car elle prône l'égalité entre les hommes et les femmes et permet aux homosexuels et aux athées d'être élus. Il a défendu l'amputation de la main pour les voleurs et la lapidation pour les adultères. Un tissu d'aberrations, on s'entend là-dessus. Chaoui voulait ouvrir un centre communautaire dans Hochelaga-Maisonneuve. Que faire? Le museler? Le priver du droit de parole? Au nom de quoi? De la bêtise?

Chaoui n'a pas fait de propagande haineuse, il n'a pas lancé un appel au génocide ni fomenté publiquement la haine contre un groupe particulier, toutes choses interdites par le Code criminel. Les aberrations, les propos détestables? Le Code est muet là-dessus.

Faut-il adopter une loi pour interdire ce genre de discours? Non, car elle ratisserait trop large et toucherait tous les discours, pas seulement ceux qui nous déplaisent. Si une loi interdisait les propos d'un iman radical, elle pourrait aussi condamner les déclarations musclées contre les religions. Le journal Charlie Hebdo, connu pour ses satires vitrioliques contre les extrémistes religieux, ne passerait peut-être pas le test. Pourrait-il être vendu au Canada? Pas sûr.

Une loi trop large pourrait aussi amener des dérives.

«Quand on punit ce genre de propos, il faut se demander où ça s'arrête, m'a dit Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Est-ce qu'on est prêt à vivre avec l'effet inhibiteur d'une telle loi?»

Pierre Trudel m'a donné l'exemple de la France, qui est allée trop loin avec sa loi interdisant l'apologie du terrorisme. Un enfant de 8 ans a été arrêté par la police au lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo parce qu'il avait refusé d'observer la minute de silence à la mémoire des victimes, raconte-t-il. Il aurait dit à son instituteur: «Je suis avec les terroristes.»

Le syndicat qui regroupe les juges en France a envoyé un appel à la modération. «La loi française ratisse trop large et crée une frénésie dangereuse», affirme Trudel avec raison.

Je ne veux pas d'une telle loi au Québec.

Il faut vivre avec les discours détestables, aberrants et choquants au nom de la liberté d'expression. Et comme le soulignait mon collègue Yves Boisvert, «le meilleur remède à des paroles inacceptables, c'est plus de paroles pour les contrer».

Mieux vaut se battre avec des mots qu'avec des lois quand on joue dans des zones grises.

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La semaine dernière, Michelle Obama est allée en Arabie saoudite tête nue. Pas de voile ni même un simple foulard pour couvrir ses cheveux. Un geste audacieux dans ce pays ultraconservateur, berceau du wahhabisme, où les femmes ont peu de droits et portent le niqab.

Michelle Obama n'était pas la première femme à se présenter cheveux au vent. Madeleine Albright, Hillary Clinton, Angela Merkel, Laura Bush ont foulé le sol saoudien sans voile.

N'empêche, en pleine controverse sur les droits de l'homme, au moment où le blogueur Raif Badawi est condamné à recevoir 1000 coups de fouet, la tête nue de Michelle Obama ressemblait à un acte de défi. Certains ont dit qu'elle avait manqué de respect pour le pays qui l'accueillait, je parlerais plutôt de courage.

Quand je vais dans des pays musulmans, je me voile seulement si j'y suis obligée, comme en Afghanistan et en Iran. Par contre, je me promène tête nue au Pakistan, au Liban et en Syrie, sauf si je rencontre des imams ou que je voyage dans une région conservatrice. Je me contente souvent d'un voile léger et de vêtements amples. Je le fais pour me fondre dans la masse et pour être acceptée par les gens que j'interviewe. Je ne suis pas là pour les choquer ou leur passer à travers la gorge les valeurs occidentales, mais pour recueillir leurs histoires.

Michelle Obama n'est pas journaliste. Elle craignait peut-être de soulever une controverse aux États-Unis en portant le voile. Son initiative ne changera rien à la situation des femmes saoudiennes, mais elle lance un message fort: vous, vos valeurs, mais nous, les nôtres.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca