La journaliste française Édith Bouvier a été gravement blessée en Syrie. Double fracture à la jambe. Pendant plusieurs jours, elle a été clouée sur un lit de fortune, dans une chambre aux fenêtres calfeutrées. Elle était piégée avec trois autres journalistes à Homs, une ville sauvagement bombardée par l'armée de Bachar al-Assad.

C'était en février 2012. Édith Bouvier a passé 10 jours sous les bombes à Homs, subjuguée par la peur de mourir des suites de sa blessure. Elle risquait l'hémorragie, l'embolie pulmonaire ou la crise cardiaque. Elle n'avait que 32 ans.

Elle en a tiré un livre: Chambre avec vue sur la guerre, un titre poétique qui tranche avec les morts et l'horreur à l'état brut. Dans son essai de 270 pages, elle décrit le tunnel de trois kilomètres qui lui a permis d'entrer à Homs et qu'elle a franchi le dos courbé, «les pieds dans l'eau et la boue, dans une chaleur étouffante», sa blessure, sa captivité forcée, sa tentative d'évasion à travers ce même tunnel, ligotée à un brancard, et son retour catastrophique dans sa chambre aux fenêtres calfeutrées, car le tunnel a été bombardé pendant sa fuite.

À travers les chapitres, elle effleure l'histoire de la guerre civile et loue l'héroïsme des rebelles syriens qui ont risqué leur vie pour sauver la sienne.

Ses descriptions sont saisissantes. Elles ressemblent à ce que j'ai vu dans certains quartiers d'Alep, une autre ville assiégée, bombardée, où vivent deux millions de civils. Un troublant copier-coller de dévastation.

«Dans ces rues étroites, tout n'est que désolation, poussière et débris, écrit-elle en parlant de Homs. Les vestiges des maisons en ruine se mêlent aux voitures brûlées [...] Ciel et bâtiments se confondent, tout est gris [...] J'ai l'impression de traverser le fantôme d'une ville désertée, abandonnée.»

En février 2012, la guerre avait fait 7600 morts. Aujourd'hui, on en compte près de 100 000.

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Édith Bouvier est arrivée à Homs le 21 février 2012. Elle a été blessée le lendemain. Elle avait rejoint d'autres journalistes dans un centre de presse improvisé dans le quartier de Baba Amr quand les bombes se sont mises à tomber tout près, trop près. Le centre de presse a été touché, deux journalistes sont morts. Édith Bouvier, elle, a survécu. Elle a d'abord vu la fumée qui envahissait l'appartement, puis sa cuisse qui enflait «à vue d'oeil» et le sang qui coulait de son pantalon. La douleur à sa jambe a été fulgurante.

Le récit est prenant. À travers ses angoisses et ses peurs, on sent la guerre, même si Édith Bouvier ne voit que les quatre murs de sa chambre. Elle raconte la guerre autrement.

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Jonathan Littell, l'auteur des Bienveillantes, a aussi écrit un livre sur Homs. Il y a passé deux semaines et demie. Il s'est promené dans la ville et il a sillonné ses quartiers dangereux où se cachaient des tireurs embusqués.

Littell est un romancier qui s'est transformé en journaliste le temps d'une guerre. Son récit est truffé de microdétails. En fait, il n'y a que des microdétails dans les 234 pages écrites dans l'urgence. Chaque jour, presque chaque heure, est décortiqué. Il a écrit son livre le nez collé sur les faits. Il a recueilli de nombreux témoignages de Syriens épouvantés par cette guerre qui prenait un sale tour. On s'embrouille dans les noms. À travers le récit échevelé, Littell nous parle de ses rêves et de sa toux qui ne le lâche pas. Malgré les témoignages décousus, on finit par plonger dans l'univers trouble de la guerre. Le récit de Littell devient bouleversant.

Littell a quitté Homs le 2 février 2012, juste avant l'assaut donné par Bachar al-Assad.

Édith Bouvier est arrivée 20 jours plus tard, en pleine tourmente.

Oui, elle a lu Jonathan Littell. «Il a fait tout ce qu'on aurait pu faire», m'a-t-elle dit lorsque je lui ai parlé au téléphone.

Mais les bombardements féroces et sa blessure l'en ont empêchée. Elle a vu un autre Homs, une autre guerre. La sienne.

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Édith Bouvier a réussi à fuir la Syrie. Le lendemain, Baba Amr tombait entre les mains de Bachar al-Assad.

Après sa guérison, elle a repris le collier. Un an et demi après sa fuite éperdue de Homs, sa jambe continue de la tourmenter. Les médecins ont installé une longue plaque de métal dans sa cuisse. Elle pense souvent à Homs et aux Syriens.

«On a forcément des séquelles psychologiques quand on couvre ce genre de terrain, dit-elle. On est touché par ce qu'on traverse. Et moi, j'ai vécu le pire.»

Elle continue de rouler sa bosse dans les pays agités. Depuis son retour de Homs, elle a été au Congo, en Jordanie et au Pakistan. Et elle a des projets... en Afghanistan et au Liban.

La Syrie?

«J'ai envie d'y retourner, répond-elle. Ça veut dire que je ne vais pas si mal.»

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Chambre avec vue sur la guerre, Édith Bouvier, Flammarion.

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Carnets de Homs, Jonathan Littell, Gallimard.