La semaine dernière, Montréal n'avait ni eau ni métro. Hier, le vérificateur Jacques Bergeron nous a appris que la Ville n'avait ni vision, ni stratégie, ni contrôle quand elle rafistolait ses tuyaux et ses routes. Pourtant, on parle de milliards de dollars.

La Ville est comme une poule pas de tête. Elle gère ses milliards à l'aveugle, sans contrôle réel et, plus grave encore, sans que les élus sachent réellement ce qui se passe dans cette grande boîte qu'on appelle la Ville de Montréal.

Quand le vérificateur Bergeron a présenté son rapport au conseil municipal, ses premières paroles ont été: «Manque de contrôle, manque de rigueur, manque de documents pour appuyer les décisions. Beaucoup de relâchement.»

En parcourant les 588 pages du rapport, on a l'impression que Montréal est un grand bordel et que la Ville est dirigée à la bonne franquette: des dizaines de millions par-ci, des dizaines de millions par-là. La vision d'ensemble? Les dépassements de coûts? Les élus sont dans le cirage.

La Ville n'a donc rien appris du grand déballage devant la commission Charbonneau? Des élus tenus dans l'ignorance pendant que des millions étaient détournés?

Le vérificateur ne parle pas de fraude, loin de là, mais plutôt d'une machine trop grosse, trop lourde, une machine qui se perd dans ses propres méandres. Les élus manquent d'information sur les échéanciers des grands projets et les dépassements de coûts. Le côté gauche du cerveau ignore ce que fait le côté droit. Encore faut-il qu'il y ait un cerveau. Mais bon.

La Ville est donc un grand bordel. Ses structures emberlificotées brouillent le portrait d'ensemble. Une chatte en perdrait ses petits. Alors les élus...

Prenons l'eau. Les équipements relèvent du conseil d'agglomération, qui gère les services communs des 15 villes défusionnées et des 19 arrondissements de Montréal; la gestion des conduites d'aqueduc et d'égout relève de la ville centre, sauf pour le centre-ville qui, lui, relève du conseil d'agglomération. Quant aux arrondissements, ils s'occupent de l'entretien de l'ensemble des conduites. Pathétiquement compliqué.

La Ville ne connaît pas l'état de détérioration de son réseau, a précisé le vérificateur, et elle n'investit pas suffisamment dans ses égouts et aqueducs. Elle atteindra bientôt un point de non-retour. Résultat: il y aura de plus en plus de bris de conduites d'eau.

Le président du comité exécutif et bras droit du maire, Laurent Blanchard, a accueilli le rapport avec «ouverture», ce qui ne l'a pas empêché de traiter le vérificateur de «gérant d'estrade». Il était froissé parce que Jacques Bergeron a dit que la Ville ne mettait pas assez d'argent dans ses infrastructures.

Ça prend un sacré culot pour traiter un vérificateur de gérant d'estrade. J'ai appelé au bureau du vérificateur à Québec et à Ottawa. Les deux m'ont dit que jamais leur patron n'avait été traité de cette manière par un élu.

L'indépendance du vérificateur est sacrée, le respect pour son institution aussi. Il est nommé par les deux tiers du conseil municipal. Son patron, c'est le conseil et non le maire ou le président du comité exécutif. Le vérificateur épluche les comptes, pose des questions, déniche les scandales et fouille tous les recoins pour s'assurer que l'argent des contribuables n'est pas jeté par la fenêtre.

Les relations entre le vérificateur Bergeron et la Ville ont toujours été houleuses. Quelques mois après son arrivée, Bergeron a signé un rapport accablant sur les compteurs d'eau. Il a envoyé tout le dossier à la police parce qu'il sentait trop mauvais. Le maire Gérald Tremblay ne l'a jamais digéré.

Au lieu de faire le ménage dans son administration, Tremblay a tiré à boulets rouges sur Bergeron. Son budget a été élagué, ses effectifs sabrés. En 2002, le bureau du vérificateur embauchait 41 personnes; en 2010, il n'y en avait plus que 30. Le contrôleur de la Ville a même espionné les courriels de Bergeron, un geste sans précédent qui a provoqué une crise. Une autre.

Et la cerise sur le gâteau, la Ville a enlevé la ligne éthique à Bergeron pour la confier au contrôleur, qui relève du directeur général. Une décision malsaine. Le nombre de dénonciations a d'ailleurs chuté, passant de 131 à 33 en un an.

Toutes les villes canadiennes ont confié leur ligne éthique à leur vérificateur. Même Laval.

Laval qui donne des leçons d'éthique à Montréal. On aura tout vu.

Pauvres Montréalais. Encore une fois. Mais depuis une semaine, ils peuvent se consoler en se comparant à Toronto, où le maire Rob Ford a fait un fou de lui. Il a craché sur les journalistes en les traitant d'asticots. Il en veut surtout au Toronto Star qui a sorti l'histoire de la vidéo, où il aurait été vu en train de fumer du crack.

À chaque ville ses incompétents.