Toutes les études le confirment, l'enseignement d'une langue au compte-gouttes est inefficace. Ce qui fonctionne, c'est l'enseignement intensif.

Parlez à n'importe quel spécialiste, il vous le confirmera: la méthode du saupoudrage est un échec. C'est pour ça que je parle anglais comme une vache espagnole. Je me débrouille, bien sûr, mais j'ai un accent gros comme ça et je cherche souvent le mot juste. J'ai appris l'anglais dans la rue. Je me suis acharnée à lire des livres en anglais et à écouter la télévision en anglais. L'école ne m'a pas appris grand-chose. Au primaire, j'avais une heure de cours par semaine, donnée souvent par des enseignants qui parlaient à peine anglais. J'ânonnais bêtement «John and Mary are going to school». Je pense que c'est la seule chose, ou presque, que j'ai retenue. Heureusement qu'il y avait la rue. Et la télévision.

Lors de son discours inaugural en février 2011, Jean Charest a annoncé que tous les élèves de 6e année étudieraient l'anglais de façon intensive d'ici 2015. Le premier ministre a proposé un modèle unique: les cinq premiers mois de l'année seraient consacrés à l'apprentissage des matières comme le français et les mathématiques, et les cinq derniers, à l'anglais. Tous les élèves, sans exception, y compris ceux qui éprouvent des difficultés d'apprentissage, feraient donc leur 6e année en cinq mois et non en 10. Gros défi.

La semaine dernière, la nouvelle ministre de l'Éducation, Marie Malavoy, a dit qu'elle remettait en question cette idée. Elle a même qualifié l'anglais de «langue étrangère». Elle a précisé que l'apprentissage de l'anglais ne commencerait plus en 1re année, comme c'est le cas depuis 2006, mais plus tard, pendant le deuxième cycle du primaire. Elle a ajouté, pour bien se mettre les pieds dans les plats, qu'elle voulait augmenter le nombre d'heures consacrées à l'enseignement de l'histoire au secondaire pour l'axer davantage sur la question nationale. «On a un peu noyé le poisson de la souveraineté», a-t-elle dit au Soleil.

Elle s'est fait ramasser par des chroniqueurs et par Jean-Marc Fournier, chef du Parti libéral, qui s'est empressé d'y voir un complot des méchants souverainistes.

Pourtant, elle n'avait pas tort. Oui, l'anglais doit être enseigné de façon intensive et tout le monde devrait avoir la chance de suivre un tel cours, sauf que sur le terrain, la réalité est complexe. En 2008, Pauline Marois avait dit qu'elle était en faveur de l'enseignement intensif, mais contre l'idée d'imposer l'anglais dès la 1re année, car, avait-elle précisé, «toutes les analyses démontrent que ce n'est pas en enseignant une langue une heure par semaine qu'un élève apprend». Sur ce point, elle n'a pas contredit sa ministre Malavoy, comme elle l'a fait mercredi sur le financement des écoles privées.

Difficile, donc, d'étendre le programme de l'enseignement intensif à tous. Comment les élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation et d'apprentissage (EHDAA) pourront-ils passer à travers le programme de la 6e année en cinq mois? Déjà, ils peinent à le réussir en 10 mois. Le public accueille 20% de EHDAA. Que faire avec ces élèves? Leur imposer le cours? Les soustraire au programme en les regroupant dans des classes spéciales pendant que les autres apprennent l'anglais? Ou laisser tomber le caractère obligatoire du cours et donner le choix aux parents qui pourront en discuter avec l'école?

Ce problème a été escamoté par le gouvernement libéral. J'ai posé la question au début de la semaine au ministère de l'Éducation: «Qu'allez-vous faire avec les EHDAA?» J'attends toujours la réponse. La ministre Malavoy a aussi refusé de me parler. Elle a donné de nombreuses entrevues à la suite de ses déclarations, m'a dit son attachée de presse. Elle n'en donnera plus. Fin de la controverse, on met le couvercle sur la marmite.

Autre écueil, les examens ministériels imposés à tous les élèves de 6e année en juin. Ils risquent d'être drôlement rouillés s'ils n'ont pas fait de français et de mathématiques depuis cinq mois. D'ailleurs, l'ex-ministre de l'Éducation Line Beauchamp avait assoupli le corset du modèle unique imposé par son patron, Jean Charest. L'idée restait la même, enseigner 400 heures d'anglais en 6e année, mais la manière, elle, pouvait varier d'une école à l'autre.

Est-ce que 2015 est une cible réaliste? Le nombre de spécialistes en anglais est-il suffisant, surtout en région? Comment éviter de recycler des enseignants d'éducation physique en profs d'anglais?

Sans oublier, bien sûr, la réalité montréalaise où plus de 60% des élèves n'ont pas le français comme langue maternelle. Que faire avec les élèves qui ont passé leur 5e année en classe d'accueil et dont la maîtrise du français est fragile? Est-ce une bonne idée de les immerger dans l'anglais pendant cinq mois? Et les élèves bilingues? Vont-ils perdre leur temps pendant cinq mois?

Alors oui, Marie Malavoy a raison d'imposer une pause, histoire de réfléchir à tous ces écueils que les libéraux ont ignorés. D'ailleurs, non seulement le Parti québécois, mais aussi la Coalition avenir Québec avait condamné la formule unique des libéraux.

Alors oui à l'enseignement intensif, mais en respectant les limites imposées par une réalité complexe. Personne n'a envie de parler anglais comme une vache espagnole.

Pour joindre notre chroniqueuse: mouimet@lapresse.ca