Le gouvernement suspend les trimestres qui reprendront en août. Il espère calmer le jeu et il croit que la mobilisation va se dégonfler. Pari risqué.

Oui, les esprits vont probablement se refroidir au cours de l'été, mais ils risquent de s'échauffer de nouveau en août. Les étudiants qui se sont tapé 14 semaines de grève ne laisseront pas le tapis leur glisser sous les pieds. Ils ont démontré un stupéfiant pouvoir de mobilisation. Jean Charest ne doit pas les sous-estimer.

«Le gouvernement suspend les trimestres, mais il ne suspend pas la crise», a dit, hier, le président de la FECQ (cégeps), Léo Bureau-Blouin. C'est le résumé le plus juste que j'ai entendu.

Le problème reste entier. Il est tout simplement pelleté par en avant.

«Pour garantir l'accès à l'éducation» et éviter que cégeps et universités soient bloqués par des manifestants, le gouvernement va adopter des mesures musclées.

Mes collègues de Québec ont appris que la loi spéciale sera musclée. Au menu: des amendes particulièrement salées. Le premier ministre fait un autre pari risqué en croyant que les manifestants vont respecter la loi et que le retour en classe se fera sans heurt.

Les étudiants n'ont pas respecté les injonctions des tribunaux. Est-ce qu'une loi spéciale, sorte de super injonction, les fera plier? Auront-ils peur des amendes? Quant aux fédérations étudiantes, elles doivent «inciter ou encourager» leurs troupes à défier la loi pour être condamnées. Selon le criminaliste Jean-Claude Hébert, «la responsabilité automatique n'existe pas». Ce n'est pas parce que 20 étudiants de la CLASSE vont bloquer l'accès d'un cégep que la CLASSE sera coupable. Elle doit «inciter, encourager».

En 1972, les trois chefs syndicaux, Marcel Pepin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, avaient invité leurs membres à ne pas respecter la loi. C'est pour cette raison qu'ils avaient été emprisonnés.

Depuis le début de la grève, les injonctions n'ont réussi qu'à monter les étudiants les uns contre les autres et à envenimer une situation déjà explosive. Rappelez-vous les dérapages à l'Université de Montréal, la révolte des professeurs, l'embauche de gardes de sécurité, le vandalisme. Le recteur avait même fait son mea-culpa: finies les injonctions, avait-il juré.

Sans oublier l'Université de l'Outaouais qui a viré au vaudeville: matraque, gaz poivre, arrestations, bousculades, interventions brutales de la police. Un beau bordel.

Mardi, au cégep Lionel-Groulx, la confrontation entre verts, rouges, enseignants et policiers a donné lieu à des scènes hystériques. La directrice générale a fini par renoncer à ouvrir le cégep. Elle ne s'est pas gênée pour accuser le gouvernement d'avoir mis le feu aux poudres.

À part quelques exceptions, les tentatives d'ouvrir les cégeps et les universités ont échoué.

Alors oui, le pari est risqué.

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Pourquoi adopter une loi spéciale, alors que les deux parties étaient proches d'une entente? Même s'ils s'accrochaient sur certaines modalités, les leaders étudiants et le gouvernement s'entendaient sur les grands principes.

Lors des négociations marathon du 5 mai, tous ont accepté de créer un conseil provisoire chargé de trouver des économies dans la gestion des universités. Les économies devaient servir à abaisser d'abord les frais institutionnels obligatoires (FIO), puis les droits de scolarité. Le mot droits de scolarité n'a pas été couché sur papier, mais il y avait une entente verbale entre les ministres et les leaders étudiants.

Hier, Léo Bureau-Blouin, de la FECQ, a déposé une nouvelle proposition qui amende l'entente du 5 mai rejetée par les étudiants. Il a habilement évité le mot droits de scolarité. Il a plutôt parlé de la facture globale des étudiants. Le gouvernement sauve donc la face, les droits de scolarité continuent d'augmenter de 82% en sept ans, mais la facture des étudiants, elle, diminue, alimentée par les économies réalisées dans la gestion des universités.

Autre point de désaccord: la composition du conseil provisoire, où les étudiants étaient minoritaires. Dans sa nouvelle proposition, la FECQ propose d'enlever deux des six sièges aux recteurs et de fonctionner par consensus. Rien d'insurmontable.

Finalement, la FECQ accepte de recommander l'entente, donc de mettre tout son poids moral pour pousser ses troupes à l'accepter.

Hier, la nouvelle ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a dit que les étudiants avaient durci le ton. Pourtant la nouvelle proposition (disponible sur le web) fait preuve d'ouverture. Où est le durcissement?

Pourquoi le gouvernement a-t-il levé le nez sur les négociations et jeté son dévolu sur une loi spéciale qui risque de mettre de l'huile sur le feu?

Hier soir, le Barreau a lancé un appel au gouvernement lui demandant de donner une dernière chance aux négociations. On ne peut pas soupçonner le Barreau, qui représente 24 000 avocats, de complicité avec la FECQ.

Mais il était trop tard, le gouvernement Charest avait déjà décidé de foncer avec sa loi spéciale. Et tant pis pour les pots cassés et la paix sociale.