À partir de mercredi, le vérificateur de la Ville de Montréal, Jacques Bergeron, se présentera en cour. Il intente une poursuite contre le contrôleur Pierre Reid qui a espionné ses courriels. Il souhaite que le tribunal décrète que l'espionnage était illégal. Au-delà de cette cause, les employeurs peuvent-ils surveiller les courriels des employés?

Pierre Reid, l'ex-contrôleur de la Ville de Montréal qui a espionné les courriels du vérificateur, est toujours payé à temps plein.

Pierre Reid, c'est l'homme qui a jeté le maire Tremblay dans l'embarras l'hiver dernier et déclenché une grave crise à l'hôtel de ville à cause de ses méthodes cow-boy. Reid est non seulement payé à temps plein, mais il n'a reçu qu'une petite tape sur les doigts. Et encore.

Il ne reste pas chez lui à se tourner les pouces. Il reçoit des «mandats». Son salaire annuel est généreux: 181 000$. Il est le 5e cadre le mieux payé de la Ville. Un nouveau contrôleur a été nommé à sa place, Denis Savard qui lui, reçoit 130 000$.

Toute cette histoire a commencé quand la Ville a reçu une plainte anonyme concernant le vérificateur Jacques Bergeron. Il aurait scindé des contrats pour éviter d'aller en appel d'offres, donner un petit contrat de traduction à sa belle-soeur et demander à un journaliste d'écrire un article pour dénoncer une décision de l'administration Tremblay.

Pour vérifier ces allégations, Pierre Reid a espionné ses courriels pendant 10 mois. Il a ouvert des milliers de pages, tombant parfois sur des informations hautement confidentielles.

Le 11 avril, le maire a convoqué les médias pour annoncer qu'il avait demandé à Pierre Reid de «quitter» son poste. Il l'a fait à reculons, car il l'avait défendu becs et ongles pendant deux mois en dépit de la tempête soulevée par cette histoire d'espionnage digne d'un mauvais roman.

Normalement, quand un employeur demande à un cadre de quitter son poste, il doit mener une enquête pour vérifier les faits. Si la personne a commis une faute, elle peut être suspendue ou congédiée. Le problème, c'est que la Ville n'enquête pas. Elle a demandé à M. Reid de quitter son poste, point. Et elle va lui verser son salaire jusqu'à sa retraite en juillet 2012.

Pourtant, le maire l'a désavoué publiquement. Même le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a dit qu'il ne cautionnait pas cette méthode qui lui semblait illégale. L'Unité permanente anticorruption enquête sur l'histoire des courriels et le ministère des Affaires municipales scrute les allégations concernant le vérificateur. Mais la Ville? Rien. Elle fait le dos rond.

Quand Jacques Bergeron a su que le contrôleur avait fouillé dans ses courriels, il a pété les plombs. Le vérificateur a un caractère explosif. Il a décidé de poursuivre Reid, trois de ses enquêteurs et le président du comité de vérification qui a reçu la plainte anonyme.

La Ville paie les frais d'avocat de Reid et compagnie, mais pas ceux de Jacques Bergeron, même si l'administration Tremblay a attaqué l'intégrité de son travail qui a été minée par cette histoire d'espionnage.

La Ville refuse de donner un seul sou à Jacques Bergeron. Par contre, elle paie non seulement les frais d'avocat de l'autre partie, mais elle continue de verser à Reid 181 000$ par année. Pourtant, c'est la Ville qui est responsable de cette histoire burlesque, c'est elle qui a jeté le vérificateur dans l'embarras en ouvrant ses courriels.

Jacques Bergeron intente une poursuite, car il veut qu'un tribunal décrète que l'espionnage était illégal. Mais est-ce bien au vérificateur de mener ce combat? Car, pour Jacques Bergeron, il s'agit bel et bien d'un combat. Il est obsédé par cette histoire, sauf que ce n'est pas à lui de se faire justice.

Jacques Bergeron a décidé de puiser dans son budget pour payer ses avocats et il a mis ses employés à contribution pour remonter la filière et vérifier l'ampleur de l'opération espionnage, éléments dont il avait besoin pour étayer sa poursuite. De son propre aveu, il y a consacré des «énergies énormes», ce qui a occasionné «des retards importants dans l'avancement» de ses travaux.

M. Bergeron a été ébranlé par cette histoire. Il en parle dans son rapport : «Je ne saurais trouver les mots pour vous décrire les moments difficiles que j'ai vécus au cours des derniers mois».

Je comprends, mais est-ce la place pour parler de ses états d'âme? Il conclut en précisant qu'il a gardé toute son objectivité. Vraiment?

Il ne faut pas être devin pour comprendre que la guerre continue de couver entre le maire et le vérificateur, guerre qui a commencé quelques mois après la nomination de Jacques Bergeron. Il avait alors déposé un dossier fumant sur les compteurs d'eau, dossier qu'il a refilé à la police, car il sentait trop mauvais. Tremblay ne l'a jamais digéré.

Le vérificateur a-t-il la sérénité voulue pour continuer son travail? La question se pose. Quand, dans son prochain rapport, il mettra le doigt sur un scandale, le croira-t-on? Aura-t-il noirci le portrait parce qu'il déteste le maire?

L'administration Tremblay a erré en laissant Reid espionner les courriels du vérificateur. Elle veut se débarrasser de cet homme encombrant qui refile des dossiers à la police et ose tenir tête au maire. Le drame dans cette histoire, c'est que Bergeron risque de tomber, alors que Reid, lui, reste. Payé plein salaire.