La mort de Natasha a frappé la famille Cournoyer avec une rare violence. Comme un coup de poing en plein visage.

Il y a d'abord eu la disparition de Natasha, puis la découverte, cinq jours plus tard, d'un corps abandonné dans un champ, un corps qui ressemblait étrangement à celui de Natasha: mêmes cheveux blonds, mêmes pantalons noirs, mêmes chandails turquoise.

Vingt-quatre heures après la découverte du corps aux cheveux blonds, le verdict tombait: c'était Natasha.

Six jours d'attente. Une attente insupportable pendant laquelle la famille a vécu un long calvaire.

«On était extrêmement inquiets, on appelait tout le monde, raconte le cousin de Natasha, Pierre Rousseau. On se posait des questions: «Est-ce qu'elle souffre? Est-ce qu'elle a mal? A-t-elle été violée? Est-ce qu'un maniaque lui a fait des choses horribles?» On ne savait rien.»

Ce sont les policiers qui ont confirmé la mort de Natasha. «Ils ont été extraordinaires, affirme Pierre Rousseau. Des armoires à glace avec une grande sensibilité. Des enquêteurs, pas des gars qui donnent des contraventions.»

«Pour moi, le problème, ce n'est pas la mort, mais la violence, ajoute-t-il. Natasha n'est pas morte dans un accident de voiture. Quelqu'un a pris sa vie.»

Pierre Rousseau est médecin. Oncologue. Il côtoie la mort. Une mort douce, prévisible. Pas la mort sordide d'une femme étranglée, puis abandonnée dans un champ comme un chien.

«Mes patients ont la chance de se préparer. La mort est presque souhaitée, car elle les délivre de leurs souffrances. C'est une mort apprivoisée.»

Rien de tel avec Natasha. La mort a sauvagement débarqué dans la vie de la famille Cournoyer un soir d'octobre. Une semaine plus tard, le choc est toujours aussi brutal.

«C'était une fille de 37 ans, dit Pierre. Elle n'avait jamais, jamais parlé de la mort. On ne connaît pas ses dernières volontés, elle n'avait pas fait de testament. On ne savait pas quoi faire. Est-ce qu'on l'enterre? Qu'est-ce qu'elle aurait voulu?»

Pierre Rousseau était très proche de Natasha. Jeunes, ils passaient leurs vacances d'été ensemble, en famille. Une famille tricotée serrée.

Le père de Natasha était marin. Un homme de Sorel qui avait connu une enfance difficile. Sa mère, elle, venait d'Asbestos. Milieu ouvrier. Une vie dure, dans une ville en déclin. Elle avait deux frères et une soeur. Une famille unie, soudée.

Les enfants, eux, ont eu une belle vie. Pierre est devenu médecin. Natasha a décroché une maîtrise en gestion de l'environnement. Une belle vie jusqu'au 1er octobre où tout a basculé.

***

La première fois que j'ai rencontré Pierre Rousseau, c'était devant le bungalow de la mère de Natasha, à Anjou. À l'extérieur. La famille était réunie dans le salon, scotchée devant la télévision. Natasha avait disparu depuis cinq jours, probablement kidnappée. La police venait de trouver le cadavre de la femme aux cheveux blonds. La famille s'attendait au pire.

Pierre Rousseau s'occupait de tout: l'épicerie, les repas. C'est lui qui répondait au téléphone et refusait toutes les demandes d'entrevue. Il essayait de protéger sa famille contre les assauts des journalistes.

«Je ne voulais pas que la mère de Natasha devienne une bête de cirque ou qu'on la filme pendant qu'elle pleure», dit-il.

Le lendemain, lorsque la police a confirmé que Natasha était morte, je suis retournée devant la maison des Cournoyer. Pierre Rousseau est sorti, furieux.

«Qu'est-ce que vous attendez, qu'on pleure devant les caméras?»

Hier, à la veille des funérailles, il avait eu le temps d'apprivoiser la mort de sa cousine. Il a accepté de me parler de son deuil, de l'attente, de sa peine encore anesthésiée. Il m'a donné rendez-vous au carré Saint-Louis.

«Habillez-vous chaudement, m'a-t-il dit. J'ai besoin d'être dehors. Ça fait deux semaines que je vis enfermé.»

Il était en retard. Il est débordé. Les funérailles, les mille et un détails à régler. Tout repose sur ses épaules. Il est arrivé en marchant d'un pas rapide, la tuque enfoncée jusqu'aux oreilles.

Il s'est assis sur un banc en bois, face à la fontaine, le visage tourné vers le pâle soleil d'octobre. Il a tout déballé d'un trait: la famille tricotée serrée, la fragilité de la mère de Natasha frappée par la mort récente de son mari, l'horreur, la peine, le deuil et ses soupçons envers Michel Trottier.

***

Natasha avait un ami, Michel Trottier. Ils se sont fréquentés pendant quatre ans. Une relation difficile. «En montagnes russes», précise Pierre Rousseau.

Pendant que la police virait la ville à l'envers pour retrouver Natasha Cournoyer, Michel Trottier multipliait les déclarations publiques. Trois jours après sa disparition, il a dit aux journalistes qu'il croyait que quelque chose de terrible lui était arrivé.

Michel Trottier était souvent avec les Cournoyer pendant les longues heures d'attente. Il était présent quand la famille regardait LCN, buvant chaque miette d'information. Il était là, aussi, quand la police a frappé à la porte pour leur annoncer qu'ils avaient trouvé un corps qui ressemblait à Natasha.

«Préparez-vous à une mauvaise nouvelle», avaient prévenu les policiers.

«Ça faisait bizarre, se rappelle Pierre Rousseau. On l'a soupçonné, mais jamais accusé. Il le savait. Quand il me disait: «Tu penses que c'est moi» et que je ne répondais pas, il interprétait mon silence comme une accusation. Pourtant, Michel était le gendre idéal. Un beau gars, serviable. Je disais à Natasha: «Me semble qu'il est fin, non? C'est un bon gars, t'as 37 ans, coudonc, qu'est-ce qui se passe?» Mais il y avait un os.»

Mercredi, Michel Trottier a passé avec succès le test du polygraphe. Il a été blanchi. Pierre Rousseau a poussé un soupir de soulagement. N'empêche, les relations entre Michel Trottier et la famille se sont refroidies.

«Je me suis occupé des funérailles et j'ai tout organisé en fonction de la mère de Natasha. Michel s'est senti exclu», explique Pierre Rousseau.

J'ai rejoint Michel Trottier, hier. Il n'a pas voulu commenter. Oui, la famille l'a soupçonné. «Les gens ont droit à leur opinion», a-t-il dit.

Il sera présent aux funérailles demain.

***

Dimanche, au lendemain des funérailles, la mère de Natasha va se retrouver seule dans sa grande maison. Elle a perdu son mari en mars, sa fille unique en octobre.

Je lui ai parlé au téléphone, brièvement. Elle s'est effondrée. «Je ne peux pas vous parler, c'est trop difficile. Appelez Pierre.»

La mère et la fille étaient proches, complices.

«Natasha n'aurait jamais laissé sa mère sans nouvelles aussi longtemps, explique Pierre Rousseau. Ma tante vivait beaucoup en fonction de sa fille. Ça occupait un gros morceau de sa vie. Elle est assez isolée socialement. Elle a beaucoup supporté son mari pendant sa longue maladie. Il y a eu un après Jean-Claude (son mari), il y aura maintenant un après Natasha.»

Elle a hérité des chats de Natasha. Quatre chats qu'elle dorlote comme si c'était ses petits-enfants.

C'est tout ce qu'il lui reste de sa fille.