La maison de Ramazan Bashardost à Kaboul est située dans une rue tellement étroite que les autos ne peuvent pas circuler. De chaque côté, une eau sale coule dans des caniveaux.

Bashardost affronte Hamid Karzaï dans l'élection présidentielle de demain, une opération à haut risque que les talibans ont promis de faire dérailler.

Bashardost est pauvre. Je l'ai rencontré chez lui en février 2007. Il m'a accueillie dans une pièce froide et nue en m'offrant du thé. Assise par terre, j'ai serré la tasse dans mes mains pour me réchauffer.

Bashardost parle un excellent français. Il a passé 22 ans en France, où il a décroché un doctorat en droit et en sciences politiques. Comme plusieurs Afghans, il a fui son pays envahi par les Soviétiques. Il est revenu en 2003, deux ans après la chute des talibans, rempli d'espoir, prêt à participer à la reconstruction.

En mars 2004, Hamid Karzaï l'a nommé ministre de la Planification. Bashardost a passé les 2355 ONG du pays au peigne fin. Sa conclusion: la plupart sont corrompues. Il a demandé à Karzaï de les traîner devant les tribunaux. Karzaï a refusé. En décembre 2004, neuf mois après sa nomination, il a démissionné.

Cinq ans plus tard, Bashardost a décidé de se présenter contre Karzaï pour dénoncer la corruption. Il fait partie des 41 candidats qui briguent la présidence. Même s'il se classe parmi les cinq plus sérieux, il n'a aucune chance de gagner.

Karzaï est le grand favori. Dans le dernier sondage, il récoltait 45% des voix. Mais les gens iront-ils voter? Le taux de participation sera-t-il suffisamment élevé pour que l'élection soit crédible? Toute la question est là.

Les Afghans ont peur. Les talibans ont multiplié les attentats: bombes, voitures piégées qui tuent soldats, travailleurs de l'ONU, civils. Les talibans ont aussi menacé de couper le doigt des électeurs: pour voter, ils doivent le tremper dans l'encre et il reste taché pendant des jours.

Les talibans visent surtout le Sud, où vivent les Pachtounes, l'ethnie majoritaire. Karzaï est pachtoune et le Sud forme sa base électorale. S'il n'obtient pas 50% des voix, il y aura un deuxième tour de scrutin. Karzaï est prêt à tout pour éviter ce scénario. Il a donc demandé à Rachid Dostom, un homme à la réputation sulfureuse, de l'appuyer ouvertement.

Dostom est la quintessence du seigneur de guerre. Un Ouzbek qui contrôle une partie du nord de l'Afghanistan. Un homme riche, sans scrupule, qui carbure au whisky et qui a mangé à tous les râteliers: il a appuyé les Soviétiques, puis les talibans.

Je l'ai rencontré à Kaboul en 2003. Un homme fait d'une seule pièce. Son costume était taché et une barbe mal taillée mangeait son visage. Sa maison était surveillée par une douzaine d'hommes armés. Des voitures aux vitres teintées défilaient devant sa porte et déversaient des hommes tirés à quatre épingles.

Son appui à Karzaï inquiète les Occidentaux, car Dostom n'est pas un cas isolé. Karzaï s'entoure de seigneurs de guerre qui ont plongé le pays dans le chaos dans les années 90.

On est loin de la démocratie que les Occidentaux essaient d'enfoncer dans la gorge des Afghans en les obligeant à tenir des élections. Un exercice périlleux dans un pays impossible. Un pays que les Occidentaux ne comprennent pas.

La communauté internationale finance à coups de millions un scrutin pour qu'un président soit élu. Un président qui va s'empresser de négocier avec les talibans. Des talibans qui tuent les soldats de la communauté internationale. On tourne douloureusement en rond. Absurde.

En 2001, les Occidentaux ont chassé les talibans et installé Karzaï à la tête du gouvernement. Huit ans plus tard, les progrès sont infinitésimaux: la démocratie est chancelante, le pays s'enlise dans la corruption, les talibans sont plus forts que jamais et Karzaï se pavane avec d'anciens seigneurs de guerre. Comme Dostom. Peu protestent. Il n'y a pas beaucoup de Ramazan Bashardost dans le pays.

Les Afghans, eux, désespèrent. Comme le souligne le journal britannique Guardian, il y a trois types d'individus en Afghanistan: les al-qaida (les combattants), les al-faida (ceux qui se sont enrichis) et les al-gaida (ceux qui se sont fait avoir). La plupart, conclut le journal, font partie des al-gaida.

Demain plus que jamais.

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