Tout a commencé par un flirt. Elle était mariée, lui aussi. Ils se sont plu dès le premier regard.

«J'ai eu un coup de coeur, il était charmant», raconte Chantal avec un long soupir.

Louis était toujours tiré à quatre épingles: complet, cravate. Cheveux gris. Un homme sérieux.

«Monsieur crédibilité», dit Chantal avec une pointe d'amertume.

 

Un homme au-dessus de tout soupçon. Pourquoi aurait-elle douté?

Il avait 12 ans de plus qu'elle. Ils se sont rencontrés chez des amis. Deux professionnels. Ils ont d'abord pris un café. C'est Chantal qui a lancé l'invitation, étonnée de sa propre audace.

Ils se sont raconté leur vie au-dessus de ce premier café. Chantal a deux enfants; lui, trois. Pas très heureux en ménage, pas malheureux non plus. L'usure du couple.

C'est Louis qui l'a relancée. De café en café, ils sont tombés amoureux. Ils s'embrassaient. Un flirt, une grande bouffée de bonheur qui contrastait avec la grisaille de leur existence.

Mais Louis restait discret. «Je ne suis pas prêt», protestait-il quand Chantal se faisait trop pressante. «Il m'a dit qu'il était fidèle en amour.» Elle rit, un rire triste. Comment a-t-elle pu être aussi naïve? se demande-t-elle, la voix chavirée par une colère sourde.

Au bout de plusieurs mois, Louis a craqué. Il l'a emmenée dans un motel. «On a fait l'amour, dit-elle. Je l'aimais.»

C'était un grand romantique. Il lui achetait des fleurs, des bijoux, il lui envoyait des lettres enflammées sur du papier fleuri. Ils vivaient un amour clandestin.

Chantal a rapidement quitté son mari. Louis, lui, a mis des années avant de laisser sa femme. Ils n'ont jamais vécu ensemble. Ils avaient chacun leur maison. Ils se voyaient souvent, ils passaient les week-ends ensemble. Ils ont décoré le nouveau logement de Louis. C'est Chantal qui a choisi les meubles. Ils ont même cherché une maison, mais Louis voulait vivre seul.

«Il me disait qu'il voulait garder sa liberté. Je l'ai cru.»

Aujourd'hui, elle s'en veut. Pourquoi a-t-elle mis autant de temps à comprendre ce qui se cachait sous la façade respectable de Louis?

 

* * * 

 

J'ai rencontré Chantal dans un café. Cheveux blonds, yeux bleus, regard embué. Elle m'a raconté son histoire d'une traite, la voix tremblante.

Sur la table, un classeur à anneaux. À l'intérieur, les relevés bancaires de Louis, qu'elle a photocopiés en cachette. Elle a fouillé dans ses affaires pendant son absence, le coeur à l'envers. Elle avait peur qu'il arrive à l'improviste.

Mais elle voulait savoir, il fallait qu'elle sache. C'était plus fort qu'elle: pourquoi Louis était-il de plus en plus tendu, fuyant? Pourquoi espaçait-il leurs rencontres même s'il jurait qu'il l'aimait plus que tout au monde?

Elle se doutait que Louis était tourmenté par des démons. Un an plus tôt, elle avait fouillé dans son ordinateur et découvert qu'il fréquentait des sites pornos. De la pornographie juvénile. Et des agences d'escorte. Elle avait été bouleversée.

«Tu me dégoûtes, lui avait-elle lancé. Consulte, tu as un problème!»

Elle a refusé de faire l'amour avec lui pendant plusieurs mois, puis elle a de nouveau succombé à son charme. Il lui a dit qu'il avait honte, que c'était fini. Elle l'a cru. «J'étais amoureuse», soupire-t-elle.

Puis en décembre, tout s'est écroulé. Elle a découvert qu'il carburait toujours à la pornographie, qu'il voyait des escortes et qu'il fréquentait des salons de massage. Depuis des années. Depuis une éternité. Elle a fouillé chez lui, méthodiquement, à la recherche de preuves. Elle a épluché ses factures, fouillé dans son ordinateur.

Elle ne dormait plus, ne mangeait plus. Elle n'avait aucune preuve formelle, mais elle savait. Elle l'a placé devant les faits. Il a nié tout en admettant qu'il avait «flirté avec ses démons» et regardé «des images sales».

Elle a paniqué. Elle s'est précipitée chez son médecin. Elle a passé une batterie de tests, sida compris. Les premiers résultats sont arrivés: négatifs. Mais elle doit de nouveau passer le test.

«Si je suis séropositive, je le poursuis.»

Pas facile de traîner son conjoint en cour. «Il peut être poursuivi au criminel s'il sait qu'il a le virus et qu'il ne prend pas les précautions nécessaires pour protéger sa partenaire, explique l'avocat criminaliste Jean-Claude Hébert. Pour le reste - les mensonges, la détresse -, les tribunaux ne veulent pas arbitrer les relations entre adultes majeurs et vaccinés.»

Chantal a rompu. Définitivement. Elle a dû s'absenter du travail pendant plusieurs semaines.

«J'étais incapable de travailler, j'étais trop bouleversée. Je me suis lavée de façon obsessive pendant un mois. C'était comme si j'avais été violée, un long viol de 10 ans. J'en ai pour combien d'années à me ramasser, à essayer de me reconstruire? Comment faire de nouveau confiance à un homme quand celui que j'ai aimé m'a menti pendant 10 ans?»

Chantal essuie une larme, la seule qui a coulé pendant l'entrevue. «Je vous ai raconté mon histoire parce que je veux toucher les femmes qui ont vécu la même chose que moi. Je veux aussi que les hommes comme Louis comprennent la détresse qu'ils infligent à leurs blondes.»

Avec des gestes lents, elle a ramassé son classeur, pris son sac à main, mis son manteau. Elle aurait parlé pendant des heures, ressassant sa détresse et sa rage. Elle a quitté le café la tête haute sans se retourner.

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