«Viens-tu avec moi, je vais reconduire ton frère?» Non, je vais rester ici, a répondu Maxime à sa mère. Fais-moi un bon café, je reviens tout de suite.

Elle l'a embrassé en lui disant qu'elle l'aimait. «On a besoin de toi, Maxime.»

Avant de partir, elle a eu un moment d'hésitation. Elle s'est demandé si elle devait le laisser seul. Cinq jours plus tôt, Maxime, 29 ans, avait essayé de se suicider. Seul au volant de son auto, il avait foncé dans un camion. Il s'en est sorti indemne. Un miracle.

Maxime n'a pas fait de café. Il a écrit une lettre, puis il s'est pendu. Quand sa mère l'a découvert, elle a hurlé. Elle a réussi à le décrocher. Elle a essayé de le réanimer, mais il était trop tard.

Onze mois après le suicide de son fils, la douleur est toujours aussi fulgurante.

«Je vois tout le temps cette image-là», dit sa mère, Mimi Dubois, dans un souffle. Elle n'ose pas prononcer le mot pendu. Le père de Maxime l'écoute, tête baissée. Le silence tombe dans la grande pièce ensoleillée. De la fenêtre, on aperçoit les montagnes de Saint-Sauveur. Les parents de Maxime se sont lancés dans des rénovations. Ils construisent une rallonge qui donne sur une grande cour.

Quand ses yeux balaient la pièce en désordre, la mère de Maxime hausse les épaules. «Ça va être beau, c'est certain, dit-elle, mais c'est mon fils que je veux.»

Depuis deux ans, Maxime était taciturne, songeur. Personne n'a compris l'ampleur de sa détresse, ni son jeune frère de 25 ans avec qui il vivait depuis un an et demi, ni sa mère pourtant très proche.

Aujourd'hui, ses parents se posent des questions. Ils ne comprennent pas le geste de Maxime. Et ils se sentent terriblement coupables.

Maxime était pompier à la Ville de Montréal. Comme son père. Il a été ostracisé lorsqu'il a refusé d'obéir au mot d'ordre de son équipe qui s'est déclarée malade en bloc pour mettre de la pression sur l'employeur. Même son capitaine, un syndiqué, était de mèche.

Le lendemain de son refus, Maxime a trouvé une feuille de transfert collée sur sa case. Le message était clair: on ne veut plus de toi!

Des pompiers lui disaient: «Va-t-en! Change de caserne!»

«L'équipe chez les pompiers, c'est important, explique le père de Maxime. Quand tu es rejeté, c'est difficile à vivre. Mon fils était un émotif.»

Le rejet a provoqué une fêlure dans l'âme fragile de Maxime.

Sa mère feuillette le calendrier des pompiers. Elle me montre la photo de Maxime torse nu, les pantalons sur les hanches. Une armoire à glace tout en muscles.

«Mon colosse», dit-elle avec tendresse.

Elle enfouit son visage dans ses mains et pleure. Des gros sanglots secouent ses épaules. Son mari se lève, prend la boîte de mouchoirs et la glisse doucement vers elle.

L'incident à la caserne a marqué Maxime. Il a vécu du rejet pendant trois mois avant d'être transféré.

«Il me demandait: "Qui va m'aimer?" Qui va m'aimer! répète sa mère incrédule. Ben voyons! Tout le monde aimait Maxime!»

À Noël, sa copine l'a quitté. Ils se fréquentaient depuis un an et demi. Un rejet. Encore. Il l'a difficilement encaissé. Cette peine d'amour l'a brisé.

La suite est connue: la tentative de suicide en auto, suivie par la pendaison cinq jours plus tard.

Maxime est parti. Il ne reste plus rien, sauf de douloureux souvenirs.

«Aujourd'hui, je vois sa fragilité», dit son père.

«Il n'arrivait pas à être heureux, croit sa mère. Ma carrière, c'était mes gars, j'ai échoué. J'ai été incapable de trouver les mots pour soulager sa souffrance. Le mal qu'il a eu me fait mal. Je ne sais pas comment je vais surmonter ça, je suis comme une handicapée. Une partie de moi est morte.»

Mme Dubois me retient sur le pas de la porte. Elle veut parler de Maxime encore et encore. Ses dernières paroles résonnent dans ma tête.

«En quoi voulez-vous que je croie maintenant?»

Le deuil se découpe en quatre étapes

1. Le choc. La personne se sent hagarde, agitée. «La douleur est engourdie», explique Mme Des Aulniers.

2. La désorganisation. C'est un état affectif très confus, mêlé de colère. «Ils en veulent à la personne qui est morte, raconte Mme Des Aulniers. Ils ont honte d'être en colère et ils se sentent coupables.»

3. La dépression, marquée par une grande tristesse, des problèmes de concentration et l'impression que la vie ne vaut plus rien. «C'est une étape absolument nécessaire», précise Mme Des Aulniers.

4. La réorganisation. La cicatrice au coeur. «On peut penser à l'autre sans être triste, dit Mme Des Aulniers. On continue d'aller de l'avant. On répare. Le vase est recollé, mais on voit la fêlure. Il est plus fragile.»