Cette histoire fait couler des barils d'encre en France depuis une douzaine de jours. L'incident s'est déroulé sur le plateau bien fréquenté d'On n'est pas couché, émission animée par Laurent Ruquier. L'animateur recevait Sandrine Rousseau, ancienne porte-parole du parti Europe Écologie-Les Verts et auteure d'un ouvrage intitulé Parler, dans lequel elle dénonce une agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part de l'ex-député écologiste Denis Baupin.

Les habitués de cette émission, diffusée tard le samedi soir, savent que deux chroniqueurs font office de chiens de garde (on les appelle des chroniqueurs-snipers) face aux invités. Leur rôle consiste à nourrir la discussion et à remettre en question certaines idées qui sont véhiculées. D'un côté, on retrouve l'écrivain Yann Moix, et de l'autre, Christine Angot, auteure de plusieurs romans à succès.

Le moment «tragédie grecque» de l'émission du 30 septembre est venu d'un clash entre Angot et Rousseau. La première a fortement ébranlé la seconde en lui balançant au visage un discours complètement dénué de sensibilité. Rousseau était en train de dire que son ancien parti était formé pour «accueillir la parole» des victimes quand Angot a éclaté.

«Je vous interdis de dire ce que vous dites, a dit Christine Angot à Sandrine Rousseau. Vous ne pouvez pas parler au nom de toutes les femmes, vous auriez dû dire "je". On ne peut parler que de son viol.» Angot a ensuite déclaré que les agressions sexuelles devaient se régler en soi et qu'une femme devait se «débrouiller toute seule». Anéantie, Sandrine Rousseau a éclaté en sanglots.

Huée par le public, Christine Angot a quitté le plateau pour se réfugier dans sa loge. Cette séquence a été coupée au montage (l'émission est enregistrée le jeudi). Pendant une vingtaine de minutes, plusieurs ont entendu Angot hurler de sa loge. Il a fallu l'intervention de la productrice de l'émission, Catherine Barma, pour faire revenir la chroniqueuse sur le plateau.

France 2 a reçu beaucoup de plaintes de téléspectateurs choqués par les propos d'Angot. La secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a fait parvenir une lettre au Conseil supérieur de l'audiovisuel dans laquelle elle dit regretter qu'«une victime ayant le courage de briser le silence autour des violences sexuelles soit ainsi publiquement humiliée et mise en accusation».

Samedi dernier, Laurent Ruquier a commencé son émission en lisant un texte dans lequel il disait que «dans les larmes de Sandrine Rousseau comme dans la colère de Christine Angot, [il n'avait] vu que deux victimes exprimer leur souffrance, chacune à sa façon. Il fallait n'y voir rien d'autre».

Cette attaque de Christine Angot est absolument renversante. Il faut rappeler que celle-ci s'est fait connaître grâce à son roman L'inceste dans lequel il est question de la relation incestueuse qu'elle a eue avec son père.

Pourquoi une telle violence à l'égard de quelqu'un qui prétend avoir été victime? Pourquoi un tel manque de solidarité et de compassion?

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'attitude de Christine Angot est diamétralement opposée à la salve d'accusations provenant ces derniers jours d'actrices hollywoodiennes qui affirment avoir été agressées par le producteur Harvey Weinstein. D'un côté, nous avons un groupe de jeunes femmes qui prennent leur courage à deux mains pour dénoncer les gestes abjects d'un puissant producteur. Et de l'autre, nous avons une auteure-chroniqueuse, elle-même victime d'inceste, qui dit à une autre femme de se la fermer.

Cet esclandre de Christine Angot demeure aussi inacceptable qu'incompréhensible. Et ne comptez pas sur elle pour clarifier la situation. «J'en ai assez qu'on demande aux femmes de revendiquer la souffrance», a déclaré Christine Angot au magazine Télérama quelques jours après cet échange virulent.

Depuis que celle-ci occupe le rôle de chroniqueuse à On n'est pas couché, elle ne rate pas une occasion de faire parler d'elle. Au fil des émissions, les affrontements et les malaises s'enchaînent. Dans tous les cas, le procédé est le même : la dame attaque, faisant défiler les idées sans aucun lien entre elles, ne laissant pas à l'autre la chance de s'exprimer. Ces moments sont, il faut le dire, franchement désagréables.

Le problème est que Christine Angot est devenue au fil du temps une star. Dès ses premières apparitions à la télévision, elle a su tirer les bonnes ficelles pour attirer l'attention. En fait-elle maintenant trop? Est-elle devenue prisonnière de ce personnage sulfureux qu'elle a créé et auquel le public s'est habitué?

La douleur de Christine Angot, celle qui émane des stigmates de son enfance, a-t-elle vraiment été exacerbée par celle de Sandrine Rousseau, comme l'affirme Ruquier? Ou alors le récit de la souffrance de Sandrine Rousseau a-t-il piqué au vif l'ego d'Angot?

Il serait dommage qu'on en soit là, que du haut de son statut de star de la littérature, une femme revendique le monopole de la douleur.

S'il s'agit de cela, Christine Angot n'a pas de coeur. Vraiment pas.