J'étais avec des amis à la maison l'autre soir. On prenait un verre, on discutait, on riait surtout. Tout à coup, on a entendu: «Je n'ai pas bien compris votre question.» Celle qui intervenait effrontément dans notre conversion, c'était Siri. Cette effrontée nous épiait à partir d'un iPhone. Pas besoin de vous dire qu'on lui a fermé le clapet assez raide, merci! Non mais, pour qui se prend-elle, celle-là?

Cette anecdote en dit long sur la place que prend l'intelligence numérique dans nos vies. Je dis place, mais je pourrais parler d'envahissement. Cette invasion sournoise et incontrôlable, c'est exactement le sujet du nouvel ouvrage du philosophe français Éric Sadin. Celui-ci nous sert une sérieuse mise en garde contre ce qu'il appelle la silicolonisation du monde et ne nous demande rien de moins que de cesser d'acheter des objets connectés.

Ce penseur des technologies du numérique, qui a fait une impressionnante tournée des médias français la semaine dernière, offre une solide charge contre les géants du numérique (Apple, Google, Facebook, Uber, Netflix, etc.). Il sonne l'alarme contre les effets pervers de la robotique, cette présence de plus en plus grande des capteurs qui apparaissent sur notre corps et dans notre univers domestique. Grâce à eux, la «figure humaine» risque d'être éradiquée. L'auteur entend par là que nous serons de moins en moins capables de prendre des décisions, car nous ferons de moins en moins appel à notre jugement.

Les assistants numériques comme Siri ou Google Now vont répondre à toutes nos questions. La Google Car va nous suggérer de nous arrêter à tel ou tel endroit selon nos goûts et nos habitudes.

Ajoutons à cela les logiciels que nous sommes à développer pour lire les expressions du visage. Nous entrons dans l'ère de l'informatique affective.

Nos émotions (celles dont nous serons encore capables) vont nous trahir et faire de nous des consommateurs vulnérables, des robots que l'on dirigera vers tel ou tel produit après avoir détecté nos préférences et nos envies.

Il y a un aveuglement total à l'égard du développement qui s'opère en ce moment. Ce qui est inquiétant, ce n'est pas l'impact négatif de cette automatisation dans notre vie privée, mais plutôt celui qu'elle aura sur les civilisations entières. En tentant de tout automatiser, le technolibéralisme est en train d'uniformiser, d'aplanir et de normaliser la terre entière.

Éric Sadin souligne que l'intelligence artificielle est devenue notre ligne d'horizon. On ne peut plus imaginer notre vie sans cela. On nous donne une impression d'épanouissement et de liberté. Or, c'est le contraire qui se produit. Nous devenons les guignols d'un mégasystème conçu pour nous dicter des gestes voués à des fins mercantiles.

J'ai une solution pour contrer cette arme redoutable qu'est l'intelligence artificielle: une puce qui, lorsque la tentation d'acheter deviendra trop grande, fera entendre une voix dans notre tête. Elle dira: «En avez-vous vraiment besoin?» Si j'étais Pierre-Yves McSween, je déposerais un brevet tout de suite. Mais qu'il évite de présenter son concept aux gens de la Silicon Valley, il risquerait d'être mal accueilli.

La silicolonisation du monde - L'irrésistible expansion du libéralisme numérique. Éric Sadin. Éditions L'échappée. 296 pages. En librairie le 28 novembre.

Nous en avions besoin

Deux journalistes dont nous avions besoin brillent depuis septembre à l'émission Dessine-moi un dimanche. Karyne Lefebvre, au culturel, et Laurent Therrien, à la revue de presse, sont les dernières recrues de la matinale du dimanche sur ICI Première.

Therrien est sans contredit le meilleur journaliste de la radio publique pour livrer une revue de presse. Concis, précis, rigoureux, jamais il ne nous fait sentir le surligneur jaune. Il résume de manière éloquente et vivante les articles et textes d'opinion du jour.

Quant à Karyne Lefebvre, son dynamisme et ses connaissances variées du monde des arts comblent tous les publics. Pas évident d'être la chroniqueuse culturelle qui arrive après toutes les autres.

Si j'étais à la place de la réalisatrice qui dirige cette émission, j'attacherais ces deux journalistes avec une chaîne. Mon petit doigt me dit qu'on pourrait venir les lui voler.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS L’ÉCHAPPÉE

La silicolonisation du monde - L'irrésistible expansion du libéralisme numérique, d'Éric Sadin