Connaissez-vous Jenny Beavan? Depuis le gala des Oscars de dimanche dernier, son nom a maintenant une résonance auprès du grand public. Pas à cause du trophée qu'elle a remporté dans la catégorie des meilleurs costumes, mais pour le look qu'elle affichait lors de cette soirée qui sent bon le Chanel No 5 et la conformité.

Jenny Beavan a réalisé les fabuleux costumes du film Mad Max: Fury Road. Lorsqu'elle a été nommée, elle est montée sur scène avec comme habillement un jeans provenant de Marks & Spencer, un blouson en faux cuir et une écharpe autour du cou. Ronde et d'allure garçonne, Jenny Beavan n'a pas eu envie d'une robe de princesse d'un grand couturier, d'autant plus qu'on prête gratuitement ces robes aux actrices visibles, pas aux nommées de l'ombre.

Bref, sa montée sur scène a surpris plusieurs spectateurs dans la salle. Sur une vidéo (vue par quatre millions de personnes) qui circule depuis lundi, certains hommes (dont le réalisateur Alejandro González Iñárritu) ne cachent pas leur surprise, l'air de dire: «Mais d'où sort-elle celle-là?»

Qu'est-ce qui a le plus choqué, croyez-vous? Le fait qu'elle soit ronde? Qu'elle ait une démarche masculine? Qu'elle soit d'âge mûr (elle a 65 ans)? Qu'elle ne porte pas une robe de gala? Le blogueur du réputé The Guardian posait cette question: «Sont-ils choqués qu'une Britannique d'âge mûr ait décidé de ne pas massacrer son corps au nom d'un idéal hollywoodien inatteignable?»

La réponse est toute simple: Jenny Beavan s'est attiré les foudres, car elle ne correspondait pas du tout aux normes.

Cette femme qui passe le plus clair de son temps à imaginer et concevoir des costumes n'aime pas les robes de gala. C'est son droit le plus strict. «Je voulais être à l'aise», a-t-elle simplement dit aux journalistes qui l'ont interrogée dans les coulisses.

La réputation de Jenny Beavan n'est plus à faire. Elle a été sélectionnée 10 fois aux Oscars. Cette spécialiste des films d'époque a remporté son premier Oscar en 1986 pour le film A Room with a View de James Ivory. Il y a quelques semaines, elle a remporté un prix BAFTA pour les mêmes raisons que l'Oscar de dimanche.

Elle est montée sur scène habillée en «SDF», comme l'a écrit sur Twitter le cinéaste Stephen Fry. Attaqué de toutes parts, le cinéaste a fermé son compte Twitter peu de temps après.

La réaction face au look de Jenny Beavan en dit long sur notre difficulté à accepter ceux qui refusent d'entrer dans un moule. Les exemples de cela sont aussi variés que faciles à trouver.

Depuis le début de la semaine, on a beaucoup reproché à la ministre Lise Thériault d'avoir dit qu'elle n'était pas féministe. Quelle honte y a-t-il à dire qu'on est féministe ? ont répliqué certains observateurs. Aucune en effet. Mais il n'y a aucune obligation à le dire non plus. Si Lise Thériault n'a pas envie de se coller l'étiquette de féministe dans le front, c'est son choix. Elle, mieux que quiconque, connaît ses réalisations et ses valeurs.

Il y a autour de moi des femmes qui ne se sont jamais autoproclamées féministes, mais qui, dans leur vie personnelle et professionnelle de tous les jours, font des gestes plus revendicateurs et symboliques que plusieurs féministes bien en vue.

Il faut se méfier de la conformité comme de la peste. Je sais, c'est rassurant pour certains. Mais une société n'est pas un moule à petits gâteaux. Alors, si vous gagnez un Oscar un jour, de grâce, refusez de faire le cupcake.