Quand on marche vers l'ouest rue Sainte-Catherine, en sortant du Sephora, il faut passer sur des planches de bois, suspendues pas mal au-dessus du vide.

OK, ce n'est pas un moment Indiana Jones version magasinage extrême où, après avoir affronté les foules de clientes affamées de cosmétiques, on nous demanderait de traverser un gouffre en prenant bien soin de garder notre équilibre.

Mais on ressent quand même une petite inquiétude à crapahuter ainsi en longeant - ou en marchant par-dessus - l'immense trou du fameux chantier de construction de la principale artère commerciale de Montréal.

La rue Sainte-Catherine n'est pas de tout repos par les temps qui courent.

C'est le moins qu'on puisse dire.

« Mettons que les gens n'ont pas envie de passer par ici », résume Mélodie Clérouin, barmaid au Piranha, un bar et salle de spectacle en plein coeur du tronçon situé entre McGill et Robert-Bourassa. « On a nos habitués. Mais les touristes ? Ça bloque. »

Les travaux n'empêchent pas les amateurs des machines de loterie vidéo scotchés à leur appareil dans la pénombre, en plein après-midi d'une parfaite journée de printemps ensoleillée, de tester leur chance.

Mais on garde la porte fermée. Tout comme chez M0851, un peu plus à l'est, de l'autre côté de la rue.

« La vérité, c'est que c'est pénible, résume Marina Salas, employée sur le plancher. Il n'y a plus de trottoir, c'est bruyant, on perd en visibilité. »

Heureusement, le nombre de passages n'a pas bronché. Mais la porte doit rester fermée. Les passants en outre entrent constamment sans raison, croyant pouvoir ainsi accéder au Complexe Les Ailes dont l'accès est bloqué.

C'est un peu le chaos.

Et devant le commerce, la rue est totalement éventrée. Et les portes verrouillées de locaux vides sont nombreuses.

« Ici, les gens viennent chercher de la nicotine alors ils vont marcher pour en trouver », résume pour sa part Gabriel Lacasse, gérant du Vaporus, un peu plus à l'ouest, du côté sud. Devant le marchand de vapoteuses, le chantier produit des bruits remarquables. « On a une clientèle d'habitués qui ne dépend pas du lèche-vitrine. »

Son voisin, le Five Guys du quartier, n'est pas aussi enthousiaste. Une succursale de la chaîne de burgers américaine en pleine croissance, située en plein coeur du centre-ville commercial, devrait cartonner, mais ce n'est pas le cas.

Oui, c'est occupé. Et même les touristes comme Simina Roxin et Martial Daniel, venus de Strasbourg, y trouvent leur chemin. « Mais mettons qu'on n'a pas les augmentations de 15 à 20 % comme les autres », résume le gérant, Sébastien Major.

« Nous, on avait envie des légendaires burgers, donc on a trouvé le chemin, résume Martial. Et on avait le temps. »

À quelques mètres de là, sur l'avenue McGill College, Food Chain, qui propose des salades végétaliennes, roule à plein régime.

Fenouil, daikon, citron et tofu ? Chou-rave et céleri ?

Les options végétales sont nombreuses et savoureuses et la clientèle semble apprécier, sans trop se préoccuper des tonitruantes machines à l'oeuvre plus loin.

« Je comprends ceux qui ferment, explique un des copropriétaires, Jean-François Saine. Les commerçants qui ont des marques fortes tiennent le coup et gardent leur bail. Mais pour les moins solides, c'est très difficile. »

Lui, en tout cas, s'il s'est installé sur l'avenue McGill College l'an dernier, il n'aurait pas signé un bail rue Sainte-Catherine, dit-il. « On est chanceux d'être à côté. »

« Et on a développé des stratégies. »

Pour compenser la difficulté d'accès, le Food Chain a lancé un service de livraison gratuite ultrarapide, à pied. Le restaurant garantit que ses salades seront apportées chez le client au centre-ville, dans le périmètre René-Levesque-Sherbrooke-University-Metcalfe, en moins de 20 minutes. Comme ça, on reçoit une salade directement au bureau, sans avoir à traverser les travaux. « En réalité, on réussit souvent en huit minutes », précise-t-il.

Pour le reste, « on s'en remet à la Ville », ajoute une autre des copropriétaires, Cheryl Johnson - le troisième est Charles-Antoine Crête. En espérant que les travaux avancent rapidement et que les dommages collatéraux ne s'étalent pas.

« Ça ne crée pas des atmosphères de travail acceptables. Si on était intelligents, on serait beaucoup plus rapides, on travaillerait la nuit sur les chantiers pour que ça aille vite. »

- Jean-François Saine, copropriétaire de Food Chain

Selon lui, le prix d'un tel blitz ne serait peut-être pas si élevé comparé aux coûts engendrés par les chantiers interminables. Parlez-en aux propriétaires de commerces sur le boulevard Saint-Laurent et dans la rue Saint-Denis.

Mais certains sont à toute épreuve. Chez Sephora, les vendeuses ont de la difficulté à répondre à la demande et la file à la caisse est si longue que l'idée de profiter d'un reportage pour acheter un rouge à lèvres est bien sûr saugrenue.

En ressortant sur l'installation de planches suspendues, je repense à la barmaid du Piranha qui disait que le ramassage des poubelles était devenu aussi un problème. Aux vendeurs qui ont dû gérer les conséquences d'une importante fuite de gaz au début de mars et en parlent encore. Aux portes de commerces fermées à cause de la poussière. Aux détours.

Pourtant, ce n'est pas comme si on avait été pris de court par ces travaux.

En 2014, la Ville de Montréal et Québec ont coordonné la tenue d'un grand colloque au Centre canadien d'architecture, rencontre de discussion, d'éducation, de réflexion sur les chantiers, leurs impacts sur les villes, et les solutions pour faire mieux.

Ça s'appelait « Quel chantier ! - Le design au secours des grands chantiers urbains ». Je me rappelle être sortie de là optimiste. Le cône orange devenait soudain créatif.

Je suis repartie de la rue Sainte-Catherine cette semaine impressionnée par la résilience des commerçants. Mais totalement découragée par cette occasion ratée de faire de cette épreuve nécessaire de réparations quelque chose de pas trop désagréable et d'inspirant, de réfléchi. Après Saint-Laurent et Saint-Denis, on aurait dû savoir... Soupir.

LA VISION DE LA VILLE POUR SAINTE-CATHERINE

La Ville de Montréal dévoilera ce midi le nouveau concept d'aménagement de la rue Sainte-Catherine Ouest. La mairesse Valérie Plante sera présente pour l'occasion et précisera aussi la vision de son administration pour la transformation du centre-ville.

- La Presse

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Mélodie Clérouin (à droite), barmaid au Piranha, un bar et salle de spectacle en plein coeur du tronçon situé entre McGill et Robert-Bourassa

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les travaux sur la rue Sainte-Catherine n'empêchent pas les amateurs des machines de loterie vidéo scotchés à leur appareil dans la pénombre, en plein après-midi d'une parfaite journée de printemps ensoleillée, de tester leur chance.