L'année 2018 sera-t-elle celle de l'action après 2017, année de la prise de parole et de la dénonciation ? Peut-être bien que oui, finalement.

Du moins, c'est ce qu'espèrent plus de 300 personnalités cruciales du monde des affaires, du droit, des relations de travail, surtout, mais pas uniquement liées au monde du divertissement américain -agents, producteurs, dirigeants d'entreprise, actrices, avocates -, qui ont commencé l'année en annonçant la mise sur pied d'un mouvement d'initiatives concrètes post-#MeToo (le fameux #MoiAussi, au Québec).

L'opération s'appelle Time's Up, une expression anglaise qui traduit un sentiment d'urgence, et a été lancée au jour de l'An avec deux pleines pages dans le New York Times et La Opinión - un quotidien américain en espagnol. Intitulé «Chères soeurs», le texte expliquait le plan qui s'articule notamment autour d'un fonds de 13 millions - pour le moment - en dons, destiné à financer de l'aide juridique pour les femmes vulnérables qui veulent se battre contre les inconduites sexuelles en milieu de travail, mais craignent les retombées.

Le mouvement veut aussi faire avancer des projets de loi destinés à punir les entreprises qui tolèrent le harcèlement sexuel persistant et à décourager la conclusion d'ententes à l'amiable pour faire taire les victimes.

Time's Up veut aussi déployer des efforts pour la parité à la tête des entreprises, notamment celles du monde du divertissement, où l'absence d'un nombre suffisant de femmes dans les postes cruciaux a permis à la culture Weinstein de traverser les époques.

Particularité de Time's Up : même si l'initiative compte de grandes actrices, scénaristes et productrices de Hollywood parmi ses piliers - ça va des actrices Jennifer Aniston et Meryl Streep à Shonda Rhimes, créatrice de séries à succès -, des femmes d'autres horizons en sont membres. On y compte, par exemple, l'ancienne chef de cabinet de Michelle Obama et l'avocate Anita Hill.

Tout le projet a aussi été énoncé clairement : le but est d'aider toutes les femmes dans tous les milieux, autant dans le milieu agricole que toutes celles qui ont des emplois précaires où elles sont particulièrement vulnérables. On veut ainsi répondre aux requêtes venues d'un peu partout dans la foulée de l'affaire Weinstein, pour que le harcèlement et les inconduites sexuels en milieu de travail soient reconnus comme un problème global, qui touche toutes les femmes partout, pas juste à Hollywood.

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L'initiative est super intéressante, car elle marque le début d'une nouvelle phase de la vaste transformation sociale, économique et politique lancée cet automne.

Parce que #MeToo ne peut être uniquement un processus de déboulonnage de chefs d'entreprise, personnages puissants et autres vedettes qui ne méritent plus aucun piédestal.

Il faut que ce mouvement déclenche une transformation des cultures d'entreprise afin que l'abus de pouvoir cesse. Ce ne sera pas une mince tâche. Mais ça ne peut durer, autant pour des raisons éthiques qu'économiques. La créativité ne naît pas de la peur, ni la flexibilité ou l'adaptabilité d'ailleurs. Si on investit massivement comme société pour former des avocates, des informaticiennes, des mathématiciennes ou des ingénieures - par exemple -, mais que celles-ci ne peuvent pas travailler librement, sainement, parce qu'elles sont coincées dans des milieux machos, est-ce logique pour la collectivité?

Le respect des gens dans toute leur diversité n'est pas une posture charitable, mais bien un choix juste et logique. Et aussi économique.

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Au Québec, devrait-on mettre sur pied une telle initiative multidisciplinaire pour aider l'équité et le respect en emploi?

Bien sûr. Mais est-on prêt? Et sommes-nous dans une situation comparable?

Ici, jusqu'à présent, le vent de vérité au sujet des inconduites sexuelles a surtout touché le milieu des médias et du divertissement, même si certains diront que Gilbert Rozon était un homme d'affaires avant tout.

Mais on n'a rien vu de semblable à ce qui se passe, par exemple, dans la Silicon Valley où tout le milieu de la techno a été touché. Au début de décembre, The Mercury News, le quotidien de San Jose, recensait huit démissions majeures liées à de l'abus de pouvoir sexuel, tous des cas d'investisseurs et dirigeants d'entreprise qui se sont permis des comportements inacceptables. Plusieurs très grandes entreprises sont ainsi nommées, comme Google ou Uber. Il y a aussi un investisseur qui était au conseil d'administration de Tesla. Dans un reportage diffusé avant l'affaire Weinstein, CNN parlait de six femmes qui s'étaient plaintes d'inconduites d'investisseurs, dont trois à visage découvert, d'abus de pouvoir graves dans le monde de la techno. La façon de procéder décrite ressemblait à celle de Weinstein - et de tant d'autres : tu veux de l'argent pour ton entreprise? Eh bien, sois un objet sexuel.

Comme si leur fortune donnait à ces hommes le droit d'exiger ce qu'ils veulent des femmes.

Ici, on n'a pas encore entendu parler de cas semblables en techno. On sait qu'il doit y en avoir. Comme on se doute qu'il y a des histoires d'inconduites dans toutes sortes d'autres milieux des affaires. Droit, génie, gestion? Qui va commencer à en parler? Et qui va commencer à dénoncer l'abus de pouvoir sexuel dont sont victimes les femmes qui occupent des emplois précaires où dénoncer est encore plus difficile?

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Il faut commencer à exposer ce qui se passe ailleurs pour avoir une véritable idée de l'ampleur des injustices.

Et là, on pourra commencer à faire comme Time's Up.

Et après, il faudra aller encore plus loin et parler des conséquences de ces abus et de la nécessité de soins et de correctifs. Peut-être que les 35 millions de dollars pour le nouveau programme de couverture publique de la psychothérapie dont a parlé le ministre Gaétan Barrette avant Noël ne seront pas assez. Et peut-être que le Code du travail devra être changé. Et peut-être que les entreprises devront réformer leurs cultures de travail. Et surtout, surtout, peut-être qu'il faudra enfin avoir de vrais programmes solides, plus du tout flous, pour bâtir des directions diversifiées et égalitaires dans les entreprises et grandes institutions.

Donc, n'hésitez pas à nous écrire si vous connaissez des cas d'inconduites sexuelles dans le milieu des affaires.

On a un peu de travail qui nous attend en 2018.

Bonne année, tout le monde!