Connaissez-vous Arthur Pigou ?

C'est cet économiste britannique, professeur de John Maynard Keynes, qui a eu le premier l'idée de taxer des entreprises privées pour les problèmes qu'elles causent dans la sphère publique, collective.

Il n'a pas inventé l'expression, mais l'idée du pollueur-payeur vient essentiellement de lui. Quand on fait un dégât, expliquait-il, si le prix du ramassage dépasse la somme d'argent qu'on apporte à la collectivité, disons en impôts ou en taxes, il faut prendre la note.

C'est ce principe que veulent appliquer les tenants d'une taxe sur le sucre, plus précisément les boissons sucrées, qui estiment que cet ingrédient fait tellement de dommages à la santé de la population qu'il mérite d'être taxé plus que les autres, histoire de financer ainsi la gestion de ses effets négatifs et, du même coup, d'en décourager la consommation.

Est-ce une bonne idée ?

L'idée, encouragée par l'Organisation mondiale de la santé et le vaste Regroupement pour un Québec en santé, a été relancée sur la place publique la semaine dernièreet commentée notamment par l'entrepreneur-chef Ricardo Larrivée qui, invité à une consultation gouvernementale sur l'alimentation, a indiqué son opposition à un tel projet.

Avec raison.

Actuellement, le sucre fait l'objet de l'opprobre populaire. On aime le détester, le comparer à de la drogue pour ses effets supposément addictifs. Quand on en est privé, il nous manque, on en veut, lancent ses pires ennemis ! C'est vrai. Dans mon cas, c'est vrai aussi pour les pâtes au pesto, le yaourt de la Vallée Verte, la mozzarella bien fraîche et le chocolat au lait aux noisettes. Sont-ce pour autant des ennemis de mon cerveau ?

Et que sera l'ennemi alimentaire de demain ? Devra-t-on changer la taxe si un jour on découvre, qui sait, que le sucre n'est pas aussi terrifiant qu'on le croit et que les additifs chimiques, synthétiques, inclus dans les boissons sucrées visées par les ennemis du sucre le sont beaucoup plus ? Dans les années 80, le gras était l'ennemi juré des mangeurs santé. Le beurre et la crème étaient anathèmes.

Sur mon fil de presse, la caféine et le vin rouge voient leurs vertus fluctuer au gré des études contradictoires.

Dans le monde de l'alimentation, le bien et le mal ont des places interchangeables, comme les ennemis et les alliés décrits par Orwell dans 1984.

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Plusieurs États ont choisi de taxer les boissons sucrées. La Hongrie depuis 2011, la France depuis 2012, le Mexique depuis 2014 et le Chili depuis 2015, tout comme la Barbade. Le Royaume-Uni a annoncé une taxe pour 2018.

En 2013, toutefois, le Danemark a retiré une taxe datant du début du siècle dernier, expliquant qu'elle n'avait jamais vraiment été utile. Et l'an dernier, dans un long papier analytique sur la question, le magazine britannique The Economist, qui n'a certainement pas fait de recherches financées par l'industrie contrairement à certains scientifiques, conclut que « les taxes ne sont pas en place depuis assez longtemps pour qu'on puisse réellement dire si elles ont un impact sur la santé publique et lequel, le cas échéant ».

Bref, plusieurs pays agissent, mais le flou continue. On essaie, on regarde, on se bâtit du capital politique d'un côté et de l'autre du débat, mais aucune efficacité ou inefficacité des dites taxes ne s'impose.

Je me demande ce qu'en penserait Pigou...

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Personnellement, je crois que c'est une excellente idée d'essayer de convaincre la population en général et les jeunes en particulier de boire moins de boissons artificielles, sucrées, parfumées avec des arômes synthétiques et tutti quanti.

Mais la taxe n'est-elle pas une façon simpliste, façon pensée magique, d'essayer d'agir contre l'obésité ? Sommes-nous certains que le sucre et les boissons sucrées sont si centraux au problème ? N'y a-t-il pas le risque qu'on essaie de se dédouaner ainsi des efforts réellement complexes à déployer pour comprendre et apporter des solutions à ce coûteux problème de santé publique, totalement multifactoriel, qu'est la croissance de l'obésité et donc des maladies qu'elle engendre ?

L'humanité cherche depuis des millénaires à trouver et à stocker des calories pour survivre, à déjouer, à survivre avec la rareté.

Depuis 50 ans, cette situation a été totalement transformée.

Les systèmes de production alimentaire industriels ont donné aux pays occidentaux une abondance de carburant calorique qu'on n'est pas programmé, ni génétiquement ni culturellement, à gérer.

Juste là, il y a un début de réponse crucial aux coûts croissants liés à l'obésité.

On négocie actuellement un virage historique dont nos corps et nos sociétés paient le prix.

Autre piste : pourquoi boit-on ces sacrées potions sucrées ? Parmi les catégories en croissance, on retrouve les boissons énergétiques à la Red Bull, les eaux vitaminées, les cafés en tous genres et les thés embouteillés. Leur point commun, à part le sucre : leur côté stimulant. On boit du sucre, mais on boit surtout de l'énergie, de la caféine, de la théine et tous les autres ingrédients excitants contenus dans ces élixirs.

Et si l'obésité n'était pas le résultat d'une surconsommation de sucre par des gourmands invétérés accros aux édulcorants en tous genres, mais un symptôme du manque de sommeil et de repos que nos vies de 2016 nous imposent avec tous leurs défauts effrénés ?

Et si c'était plutôt la pression folle à la productivité débridée, à la rapidité constante, à l'instantanéité qu'il fallait plutôt réussir à taxer, à la Pigou, parce que le prix qu'elle nous coûte finit par être plus élevé que ce qu'elle nous fait gagner ?

On jase...