La chaîne espagnole Meliá n'a pas encore d'hôtel au Canada, mais les amateurs de voyages dans le Sud la connaissent. C'est une des grandes spécialistes des tout-inclus. Pensez Paradisus, Gran Meliá, Meliá tout court... De Playa del Carmen à Miami, la chaîne est bien présente sur pas mal toutes les plages où les Québécois vont se faire bronzer. Quelque 374 hôtels dans 40 pays, dont 27 juste à Cuba. Et on la voit dans bien des villes aussi. Le luxueux ME à Londres, c'est elle. Et à Paris, l'entreprise fondée en 1956 à Palma de Majorque compte six établissements.

La chaîne espagnole, donc, n'a pas encore d'hôtel au Canada, mais cela n'a pas empêché le grand patron du marketing du groupe, le VP Global Brand Tony Cortizas, de venir à Montréal récemment, histoire de rencontrer un peu sa clientèle et de parler de ses marques. Et de discuter de l'avenir de l'hôtellerie, de son type d'hôtellerie, à l'heure d'Airbnb.

Parce que chez les grandes chaînes, c'est le thème de l'heure.

« Pour le moment, Airbnb n'a pas de capitalisation, mais quand elle le fera, que se passera-t-il ? », demande Cortizas, rencontré au St-James au moment de son passage dans la métropole.

« C'est la grande question. Certaines estimations de ce qu'ils réussiront à aller chercher en ouvrant leur capital font vraiment peur. »

Que feront-ils dans le marché du luxe, des voyages d'affaires, s'intéresseront-ils aux agences de voyages, aux vacances organisées et leurs prises en charge du début à la fin ? Les questions sont nombreuses. Les autres entreprises de l'économie du partage, comme Uber, le disent ouvertement : tout peut être redéfini par de nouvelles façons de connecter l'offre à la demande. Personne ne connaît la prochaine étape. Qui aurait dit, quand Amazon a commencé, qu'elle dépasserait si largement la vente de livres ?

C'est pourquoi, dit Cortizas, il y a un mouvement défensif de consolidation dans le secteur hôtelier en ce moment.

Il y a eu la fusion entre Starwood et Marriott. Mais, selon lui, ce n'est qu'un début. Hilton, Hyatt, Wyndham pourraient très bien aller chercher des partenaires et plus de synergie. « Ça s'en vient. »

Et le but de tout cela, au-delà des questions de gestion et de rationalisation ? Créer des marques plus solides que jamais, principal rempart, croit Cortizas, contre le bouleversement de marché que prépare l'application californienne.

Airbnb est bien connue maintenant. C'est cette application fondée à San Francisco qui permet de louer une place où dormir à des particuliers. Maisons entières, chambres, appartements... Airbnb offre des prix concurrentiels et la chance de tomber, à ce prix-là, sur une super habitation. Ou pas.

Parce qu'avec ce type de location vient un risque. Ce n'est pas comme une chaîne hôtelière qui offre un produit hyper contrôlé, hyper uniformisé. Avec Airbnb, on habite chez l'habitant. Pour le meilleur et pour le pire.

« La grande tendance, donc, c'est de renforcer les marques », explique Cortizas, afin que les marques en question viennent rassurer la clientèle, en jouant sur un terrain qu'Airbnb ne contrôle pas. La fiabilité. L'assurance d'un produit auquel on peut s'identifier, une extension de qui on est, comme peut le faire un vêtement ou une voiture.

Bien des petites chaînes, explique Cortizas, font du super travail en ce sens, en offrant bien plus que de belles chambres confortables, mais toute une expérience identitaire. Il pense à Camper, une marque de chaussures de Majorque aussi, qui a deux hôtels, un à Barcelone et l'autre à Berlin, où rien n'est fait de façon traditionnelle. Il y a, par exemple, des hamacs dans les chambres à Barcelone. Plusieurs autres noms sont lancés : Ace, Drake, Standard... Jadis, c'était le Mondrian ou le Delano.

Mais les milléniaux, dit-on, n'aiment plus les marques, sont trop individualistes, particuliers. Cortizas y croit moyennement. Après tout, les produits dérivés de l'Ace ne se vendent-ils pas rondement, sur la simple valeur du nom ? Et puis, est-ce que ce sont vraiment les milléniaux qui comptent le plus dans le marché actuellement ?

« Tout le monde veut aller chercher les clients de demain », dit-il. En marketing, c'est une notion de base. Reste que l'argent, pour toute entreprise, est pas mal plus du côté des clients plus âgés, plus douillets, plus conscients de leurs besoins et de leur confort, que chez les jeunes prêts à dormir sur le canapé de l'ami de l'ami... 

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Lorsque j'ai rencontré M. Cortizas, l'attentat de Nice ne s'était pas encore produit. Mais on a parlé de Sousse l'an dernier, en Tunisie, où 37 touristes se prélassant sur la plage, près de la piscine d'un tout-inclus, ont été tués par un terroriste. On a parlé de la frousse jetée à tous les gestionnaires d'hôtels de ce type. Il m'a confié que les affaires avaient beaucoup baissé dans le Maghreb. Que plusieurs contrats en Égypte avec des hôteliers locaux avaient été terminés. En revanche, avait-il ajouté, les affaires sur les plages de la Méditerranée européenne vont fort bien. Costa del Sol, Costa Brava, Canaries, Baléares...

Avant de partir, il a toutefois ajouté un détail : des craintes d'attaques sur ces plages aussi.

Trois jours plus tard, la Riviera française était attaquée.

L'hôtellerie, comme tout le reste du monde, devra aussi apprendre à vivre avec ça.