« Le commerce au détail est partout en dérangement », lance Christiane Germain au bout du fil, entre un voyage à Calgary, où le Groupe Germain possède un hôtel et en construit un autre, et un déplacement à Ottawa, où le groupe, dont elle est la coprésidente, vient d'ouvrir un nouvel hôtel Alt. « Mais est-ce dire que ça ferme partout à Calgary ? Non. »

C'était avant l'incendie cruel de Fort McMurray, mais j'appelais la grande hôtelière pour parler de l'humeur commerciale déjà morose de l'Alberta à la suite de la chute du prix du pétrole.

« Nous autres à l'hôtel, on n'a pas eu une grosse année, a-t-elle ajouté. Depuis l'ouverture, on avait de bonnes listes d'attente parce que c'était toujours complet. Là on n'en a plus. Mais est-ce qu'on va fermer ? Non. On amorce un nouveau projet avec un Alt dans l'"East Village", on va de l'avant pareil. »

Et le groupe Simons, note-t-elle, poursuit son expansion à Calgary aussi. Et le Groupe Germain construit toujours son nouveau Alt à St. John's, Terre-Neuve.

Bref, selon Mme Germain, le Canada qui vit de l'énergie est dans un cycle, comme il y en a eu tant d'autres. Faut même essayer d'en profiter pour chercher les bons prix.

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Pendant des années, pour ne pas dire des décennies, des villes comme St. John's ou Calgary ont été la cible de bien des quolibets vue de Montréal ou de Toronto. On les trouvait ternes, provinciales, à des lieues du bouillonnement culturel et commercial des métropoles. Et puis est arrivé le boom du pétrole et du gaz naturel, avec tout l'argent et le pouvoir d'achat qu'on peut imaginer.

De bonnes tables à St. John's ont commencé à se tailler une place sur les listes des meilleurs restaurants au Canada, devançant celles de Montréal, tandis que Calgary devenait une destination shopping, façon Houston ou Dallas, avec des boutiques phares à la torontoise pour des marques multinationales comme Tory Burch, BCBG, Burberry ou Tiffany.

Entre la mode du néo-rustique dont Terre-Neuve et la nature sauvage albertaine étaient des porte-étendards sans avoir levé le petit doigt et l'argent des ressources naturelles, la recette était gagnante pour chasser tous les stéréotypes et créer une vie commerciale et culturelle vibrante pour les locaux et les touristes.

Rappelez-vous par exemple Zita Cobb, une Terre-Neuvienne ayant fait fortune dans le monde de la fibre optique en Ontario qui a décidé il y a 10 ans de retourner dans sa communauté de Fogo Island pour investir 10 millions de sa propre fortune histoire de construire un hôtel architecturalement innovateur, combiné à un restaurant totalement locavore, une résidence d'artistes et autres éléments d'un complexe touristique hyper moderne, voire phare pour le reste du Canada.

Bref, vous voyez le topo. Ces coins boudés du Canada sont devenus hot.

Mais qu'en est-il donc maintenant que le prix du pétrole plombe ces économies ?

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« Tout dépend à qui on le demande, mais nous à la Merchant's Tavern, on est super occupés », répond Jeremy Charles, copropriétaire de cette nouvelle brasserie à St. John's et de Raymond's, table gastronomique maintes fois couronnée.

« Mais c'est sûr que la faiblesse du dollar nous aide pour le tourisme, ajoute-t-il. Et cet hiver, chez Raymond's c'est clair que oui, on était en baisse par rapport aux années précédentes. »

À Fogo Island, Melanie Coates croise les doigts et constate que les affaires vont bien. « Nous, on s'est positionnés sur le marché mondial », explique-t-elle. Tout le complexe hôtelier et touristique, où les prix sont très élevés et les services très luxueusement actuels, va chercher sa clientèle chez les bobos en moyens de tous les pays industrialisés. « On est un peu affectés, mais peu, vraiment. Les affaires vont bien. Nos clients viennent peu de St. John's. »

Selon Jeremy Bonia, copropriétaire de Raymond's, à Terre-Neuve le vrai défi pour rester bien vivant n'est pas tant la baisse du prix du pétrole que le second coup à l'économie : le récent budget très austère du nouveau gouvernement libéral terre-neuvien, qui inclut plusieurs hausses de taxes. « Quand le prix du pétrole a chuté, dit-il, il y a eu un petit repli du côté des gens de ce secteur. Mais là, c'est tout le monde qui est visé. »

Pour le restaurateur, tout se jouera à l'été avec le tourisme et à cet égard la faiblesse du dollar canadien est un plus. Mais il craint l'automne.

« Pour vivre à Terre-Neuve, il faut être optimiste », poursuit Tod Perrin, copropriétaire du Mallard Cottage, un autre des restaurants qui ont fait de Terre-Neuve une nouvelle destination pour les touristes gastronomes ces dernières années. Perrin s'apprête à ouvrir un second restaurant et il regarde du côté de l'hôtellerie. Marque de confiance totale en l'avenir ? « En fait, si tu veux rester en affaires, aujourd'hui, à Terre-Neuve, tu dois grossir, pour aller chercher des économies d'échelle. Rester petit n'est pratiquement plus une option. C'est "deviens gros ou meurs". Donc oui, on va de l'avant. »

PHOTO OLIVIER JEAN, archives LA PRESSE

Christiane Germain, coprésidente du Groupe Germain