Si vous n'avez pas vu le documentaire The True Cost, louez-le avant de vous lancer dans votre prochaine virée magasinage.

Sorti l'an dernier, ce long métrage explique comment on réussit à produire rapidement et constamment des vêtements vraiment pas chers pour les grandes chaînes de « fast fashion » comme H&M, Forever 21, Zara ou encore Joe Fresh.

Le « vrai prix », montre le film, ce n'est pas nous qui le payons. Le vrai prix, il est environnemental et il est aussi payé par des travailleurs sous-rémunérés dans des pays lointains - le Bangladesh, le Viêtnam... - qui manufacturent sous pression dans des conditions déplorables les t-shirts et pantalons de mauvaise qualité que nous achetons pour une bouchée de pain et que nous consommons à une allure vertigineuse.

On aimerait tous trouver une réponse à cette situation, mais il n'y a pas de voie évidente.

Il y a toutefois un chemin que de plus en plus de marques québécoises empruntent : le rapatriement de leur production ici.

Ce ne sont pas des stylistes en concurrence avec le « fast fashion » parce que leurs prix ne sont pas aussi bas, même s'il faut noter que 35 % de la production manufacturière de la chaîne Le Château est faite au Canada, dont une bonne partie à Montréal. Ce ne sont pas non plus des griffes inabordables qui peuvent se permettre de faire coudre à la main des vêtements de qualité exceptionnelle et de faire ainsi payer à leur client le savoir-faire d'artisans hautement spécialisés. (Pour avoir une idée du travail incroyable de ces « premières mains » ou « petites mains », il faut voir le documentaire Dior et moi, également sorti l'an dernier.)

« La tendance est claire dans le moyen et le moyen-haut de gamme. La valeur du dollar, notamment, est un enjeu. On rapatrie. »

- Linda Tremblay, directrice du Conseil des créateurs de mode du Québec

Il y a la marque Ça va de soi, qui travaillait beaucoup en Italie, qui ramène une partie de sa production ici. Il y a Marie Saint Pierre, qui collabore maintenant de près à Chabanel avec Chantal Malboeuf, une femme qui a travaillé 17 ans dans les grandes maisons de couture françaises avant de revenir ici fonder Les Ateliers à Façon, pour produire des vêtements.

Philippe Dubuc est aussi en train de ramener une partie de sa production européenne ici. « À cause de la faiblesse du dollar, je rapatrie », dit-il. Une partie de ses collections peut tout à fait être fabriquée au Québec par des ouvriers locaux. Mais pas tout. « Il faut trouver les bons. »

Pour le travail de grande précision, l'expertise n'est pas encore au rendez-vous, mais pour les vêtements plus « déconstruits », relax, les manufactures locales font fort bien le boulot.

Mariouche Gagné, qui a fondé et pilote Harricana, explique que la Chine, par exemple, n'est plus aussi intéressante pour les dessinateurs de vêtements. Les prix sont de plus en plus élevés, et les manufactures demandent des volumes immenses. « Et il y en a qui ne veulent pas aller du côté de pays comme le Bangladesh. »

Alors, dit-elle, on revient ici. Ses mailles, par exemple ? Tricotées au Québec. Mais trouver le bon manufacturier n'est pas toujours facile, précise la designer spécialiste du recyclage de la fourrure. Les entreprises ne sont pas technologiquement à jour. Le savoir-faire laisse à désirer. 

« C'est pas techno, c'est pas structuré, c'est pas wow ! On entre dans un atelier et on est en 2003, mettons, pas en 2016. » - Mariouche Gagné, fondatrice d'Harricana, à propos du savoir-faire des ateliers québécois

La seule manufacture totalement à la fine pointe, précise la designer, est celle de Kanuk, rue Rachel.

Y a-t-il des occasions d'affaires pour les entrepreneurs qui voudraient aller du côté du textile, de la couture, de la production de pointe ? « Oui, c'est clair », répond Philippe Dubuc. Pour le moment, dit-il, à part chez Kanuk, personne ne travaille les matières « techniques », donc spécialisées et fonctionnelles, pour les vêtements extérieurs, par exemple, ou de sport.

En outre, explique Linda Tremblay, il y a de la place pour la diversification chez les entreprises déjà présentes et rentables. Elle pense à Royer, un fabricant de chaussures de travail qui aimerait se lancer dans les chaussures « de rue ». Designer recherché !

Selon Dubuc, la tendance vers un certain rapatriement n'est pas uniquement liée à la faiblesse du dollar et dure en fait depuis environ cinq ans. Cela fait même partie, jusqu'à un certain point, d'efforts concertés des créateurs pour mettre en place ici une nouvelle industrie de la production de mode. Le CCMQ travaille d'ailleurs à organiser un espace, ce que Dubuc appelle un « hub », qui permettrait aux designers et aux différents fabricants de se parler, de travailler ensemble et de transférer les savoir-faire. Car il y a urgence de former des travailleurs spécialisés. On ne peut pas passer du jour au lendemain des uniformes de police aux sarouals ou aux jupes fourreaux.