Je pensais ne plus adorer Madonna.

J'étais certaine d'avoir fait le tour du jardin, de l'avoir suffisamment écoutée, admirée, défendue et expliquée, pour pouvoir prendre ma retraite de son fan-club.

Mais non.

Mercredi soir au Centre Bell, je me suis rappelé pourquoi je l'aimais autant.

À cause de sa musique, oui, enlevante, amusante, facile à écouter, qui donne envie de danser ou de courir.

Mais aussi beaucoup, surtout, à cause de toute une attitude. De toute une posture, aussi décoiffante et rassurante aujourd'hui qu'elle l'était il y a 30 ans.

Car mon histoire avec Madonna commence en 1985, peut-être même en 1984. C'est l'époque de Holiday que j'adore, de Like a Virgin, dont la vidéo, qui passe alors à la nouvelle chaîne MusiquePlus moderne à mort, est excellente. C'est un peu mal vu à l'école d'aimer ça. Pas sérieux. Pas féministe. Mais ça me parle, à moi, ce modèle de chanteuse, de femme hors norme, loin des rockeuses à la Heart qui me semblent bien masculines dans le fond, loin des chanteuses de folk qui ont l'air d'aller nulle part dans la vie, à l'image de cette génération de baby-boomers qui me précède.

Je ne vous dis pas que je pense ça, maintenant, je vous dis comment je me sentais, dans ce temps-là, et pourquoi Madonna, à la recherche de nouveaux codes esthétiques, de nouvelles façons d'exprimer son envie de conquérir le monde, touche la jeune femme de la génération X.

Je prends alors plaisir à m'habiller comme elle, à choquer les hippies et autres boomers sur mon passage qui la trouvent superficielle, nunuche, qui m'affirment sans la moindre hésitation qu'elle n'est qu'une marionnette de producteurs, de gros labels, une fille d'un ou deux tubes... Pour eux, il n'y a que Janis Joplin, Patty Smith...

Sauf que Madonna persiste, fonce, s'impose. Ses disques sont intéressants, sa musique marche, la vedette s'amuse à choquer, elle fait parler d'elle, elle vend et mène sa barque. Elle invente un nouveau modèle féminin. La pin-up qui contrôle sa vie. Car en affaires, elle est redoutable. Elle contrôle son image dans les moindres détails. Dicte ses conditions aux médias, à l'industrie. La femme adulée drague, se fait désirer, rend hommage à Marilyn Monroe mais nous montre comment être l'inverse: un sex-symbol au pouvoir.

Jean Paul Gaultier, en l'habillant de seins longs et pointus comme des armes, résume tout le propos.

Car avec Madonna, le décolleté s'assume, les dessous reprennent le dessus. Boudoir et pouvoir riment.

On n'est plus dans l'esthétique androgyne des années 70 à la Birkin.

Madonna remet la courbe à la une.

Et en même temps, Madonna lutte contre le racisme, l'homophobie, se rebelle contre la religion - et nous, à l'époque, il y a 20, 30 ans, on croyait que ce n'était plus nécessaire!

Madonna fait de la musculation, se dote de biceps taillés au couteau comme un mec tout en soulignant, avec l'aide de designers comme Dolce & Gabbana, Versace ou Gaultier toujours, chaque courbe féminine de son corps.

Madonna veut des enfants, se marie, divorce, chante son coeur brisé mais n'est jamais vraiment victime, juste comme nous. Elle tombe enceinte, adopte des enfants du Malawi... Les années passent et elle continue sur sa route.

On la dit finie, mais elle persiste encore et encore.

L'hiver dernier sur Instagram, elle s'amuse. «Avis à ceux qui me détestent, j'ai encore plein de nouveau pour vous.»

Et sur la scène du Centre Bell mercredi, perchée sur ses talons vertigineux, habillée en Gucci, Prada ou par Swarovski, pour briller comme jamais, elle a donné une leçon, justement, à ceux qui la croient finie, en s'imposant à nouveau. En montrant qu'elle n'a aucune raison de s'arrêter.

Son spectacle était joyeux, nouveau, professionnel, créatif. Et elle a fait la preuve qu'elle avait encore énormément à donner.

Pour quelle raison, encore, devrait-elle tirer sa révérence?

À tous ceux qui prennent les femmes de 50 ans pour des êtres invisibles ou qui croient qu'elles devraient essayer de l'être, la star répond par la force de son énergie, par sa générosité.

En 2015, elle brise les moules et les attentes, les stéréotypes et les idées préconçues comme elle le faisait il y a 30 ans.

Peu importe qu'elle ait eu recours à la chirurgie ou je ne sais quelle autre méthode pour rajeunir son apparence. Sa détermination, son sens inné du spectacle, sa volonté de brasser la cage, son désir de donner à son public, à ses fans, moteur de tout méga-artiste comme elle, n'ont pas été liftés au Botox.

Et c'est tout ce qui compte.