La nouvelle a fait le tour du globe. Le problème, c'est qu'elle n'était pas vraie.

Le géant de la vente en ligne Amazon n'a pas déclassé, désexué ses jouets sur son moteur de recherche.

Si vous demandez au site web de vous trouver des jouets pour garçons, il va vous proposer un ensemble de menuiserie, des bulldozers, des casse-tête de camion, des jumelles et même une tablette spéciale pour les gars.

Oui, une sorte d'iPad, une «education machine» pour «kid boys».

Je ne blague pas. C'est sur le site. C'est bleu.

Du côté des filles, il y a des poupées, du faux maquillage, un sac à main jouet (avec son contenu, incluant un miroir); si on descend sur l'écran, on aperçoit une canne à pêche, ce qui est quand même chouette. Mais il y a aussi des trousses pour tricoter, pour faire des bijoux, pas mal de costumes de princesses. Si on continue, on finit par tomber sur une batterie, destinée à la fois aux filles et aux garçons, ouf!, juste au-dessus de décorations à cupcakes en forme de flacons de vernis à ongles, de petits noeuds et de tubes de rouge à lèvres.

Allez sur n'importe quel autre site de grand magasin, vous trouverez la même chose.

Allez en personne dans une boutique de jouets, vous ferez face à la même réalité.

Même Lego, la marque danoise, est tombée dans le panneau il y a plusieurs années, alors que dans les années 70, elle était l'exemple idéal du jeu neutre. Des blocs rouges, jaunes, verts, avec lesquels on construisait ce qu'on voulait, que ce soit une maison, un appareil photo ou un vaisseau spatial. Aujourd'hui, on propose aux gars des engins de Star Wars et aux filles de construire le château de Cendrillon.

C'est caricatural comme ça.

Je me rappelle une fois être entrée dans une boutique pour acheter quelque chose à une fillette passionnée par la médecine vétérinaire. Je me disais que peut-être il y aurait un jeu du genre «faisons semblant d'être un hôpital pour animaux et soignons nos toutous».

«Ah, pour ça, il faudrait aller dans la section des gars», m'avait répondu la vendeuse. «Oui, madame, tous les jeux scientifiques sont là.»

Je ne prétends pas avoir été une mère parfaitement féministe hors de tout stéréotype.

Je n'en fais pas une religion. Je ne suis même pas convaincue de la valeur des expériences scandinaves sur ces enfants «neutres» dont on refuse de dire le sexe pour les mettre à l'abri de toute socialisation préprogrammée et polarisée néfaste.

Mais il y a quand même des limites à penser qu'il faut proposer des mini-ordinateurs aux garçons et du maquillage aux filles en 2015. Ça me donne envie de hurler.

De quoi souffrent ces marketeurs? Est-ce de bêtise, de machisme ou d'un manque désespérant d'imagination?

Apparemment, je ne suis pas la seule à en avoir marre. En 2012, un groupe de parents britanniques s'est formé pour fonder Let Toys Be Toys - laissons les jouets être des jouets -, un organisme de bénévoles, sans but lucratif, dont la mission est d'inviter la population en général, les commerçants et le milieu de l'éducation en particulier, à lutter contre ces stéréotypes et à passer outre aux messages que les gens de marketing martèlent avec leurs jouets bleus et roses.

Une des stratégies est d'encourager tout le monde à envoyer des photos de telles aberrations sur Twitter à l'adresse @lettoysbetoys. Et on y voit de tout. Ici, c'est un t-shirt pour bébé qui dit que «maman est la meilleure copine», alors que «papa est un superhéros». Là, ce sont des peignoirs pour enfants, le bleu pour garçon en forme de requin tandis que le rose pour mademoiselle lui donne l'allure d'une sirène. Tant pis pour la petite fille qui aime bien les requins. Dans cet univers qui défile sous nos yeux, il semble impensable que les fillettes puissent aimer les pirates et les garçons le jardinage, que les petites soient des championnes et les garçons des enfants sages. Rêver de fusée? Une affaire de gars. La cuisine? Une affaire de froufrou.

Les valeurs sont dichotomiques à souhait. Le rose et le bleu, le gentil et le dynamique, le sage et le fort, le domestique et l'aventurier... On a l'impression d'être dans les années 50.

Et le pire, c'est que tout cela est un vaste retour en arrière. On régresse.

Les hippies et les féministes des années 70 avaient réussi à faire avancer la machine, à la convaincre de nous vendre dans l'enthousiasme des jouets neutres dont le but était de développer la créativité, l'imagination, la logique, la débrouillardise... Pas l'art de se mettre de l'ombre à paupières.

Pourquoi le virage à 180 degrés maintenant, dans un univers qui autrement essaie de se départir de ses ornières, de célébrer la diversité sous toutes ses formes, d'encourager les enfants à devenir qui ils sont et non qui ils devraient être?

Va-t-il falloir menacer de boycotter les vendeurs et manufacturiers de jouets qui s'entêtent à vouloir nous faire reculer pour que ça change?

J'espérais pouvoir annoncer ici, ce matin, qu'Amazon avait enfin décidé de laisser tomber cette approche néandertalienne. Le genre de petite bonne nouvelle qui réjouit et rend confiant. Ce sera pour une autre fois.