Saint-Valentin, jour de l'amour, du sexe, sortie du film Cinquante nuances de Grey... J'avais l'intention, pour marquer le coup, d'écrire sur les femmes oubliées.

Je voulais profiter de cet alignement des astres pour parler des femmes qui ont dévoré la trilogie des Nuances signée E.L. James. Des femmes dans la bonne trentaine, quarantaine ou plus, qui ont fait de ces livres des best-sellers de folie, qui les ont dévorés comme si elles attendaient ce genre de littérature depuis toujours.

J'ai moi-même lu le premier tome, je l'avoue. Mais je n'ai jamais pris le temps de lire la suite, car la qualité ou plutôt l'absence de qualité littéraire du premier livre m'en a découragée.

J'ai toujours trouvé, toutefois, que le phénomène Cinquante nuances, la popularité remarquable de ces livres, était captivant.

Pourquoi ces femmes qui vivent le jour une vie de battantes maternelles et professionnelles se sont-elles mises à se réfugier dès qu'elles le pouvaient, devant leurs écrans de Kindle ou d'iPad, dans cette littérature érotique et romantique, remplie de tous les clichés du monde au sujet du prince charmant, mais sur fond de cravache, menottes et autres pratiques coquines?

Est-ce parce qu'après avoir lancé une brassée de lavage, rangé la maison, bordé les enfants, répondu à tous les courriels, elles veulent vivre dans un autre espace, dans la sexualité, l'amour, alors que tout dans nos modes de vie et nos sociétés les amène ailleurs?

Imaginez, même la magnifique Madonna, taillée au couteau - avec ou sans l'aide de la médecine, peu importe -, Madonna, donc, se fait dire par les réseaux sociaux d'arrêter d'être la bombe sexuelle qu'elle veut être. Vous n'avez pas vu ça sur Facebook, Twitter et compagnie, dimanche soir, durant la cérémonie des Grammy? Trop vieille, à 56 ans, pour jouer les bombshells, disaient les commentateurs du dimanche. Trop vieille pour séduire? Depuis quand? Et si d'elle on dit qu'elle n'a pas le droit de chercher à titiller, imaginez la pauvre femme normale, 47 ans, trois enfants, la soccer mom typique... Elle? Objet de désir?

C'est cet aspect du grand succès de Cinquante nuances de Grey, ce désir de désir mis au jour, que j'ai toujours trouvé intéressant. Ce voile levé sur une réalité cachée de la vie de personnes invisibles qui, entre deux matchs de hockey dans les gradins et la visite au supermarché, aiment encore entendre parler de baisers fougueux, du thrill de recevoir un message coquin, aiment s'imaginer aussi irrésistibles qu'Anastasia, la femme sortie de nulle part que le milliardaire canon détecte dans la foule malgré ses vêtements mal coupés, sa gaucherie, malgré sa coupe de cheveux ordinaire...

J'allais donc vous parler de tout cela et de mon souhait de voir un nouveau genre littéraire ainsi propulsé se développer, avec éventuellement de meilleures oeuvres, plus féministes peut-être, certainement mieux écrites, mais certainement aussi sexy.

Et puis je me suis dit qu'il fallait quand même aller voir le film, celui qui est sorti vendredi, puisque c'est à cause de lui qu'on reparle du roman.

J'y suis donc allée. Et là tout a basculé. À ma sortie du cinéma, mon enthousiasme et tous ses bémols s'étaient transformés en colère.

Voir, sur grand écran, une femme se faire violenter, attacher, frapper, dominer, brusquer m'a profondément heurtée, dérangée, dégoûtée, avec une intensité que le roman n'avait pas effleurée.

Est-ce le fait de voir le sadomasochisme en images, distillé, condensé, qui a tout fait basculer?

Est-ce parce qu'entre la lecture du roman et le film, il y a eu l'affaire Ghomeshi, qui nous a montré ce qu'on craignait tous au sujet de ce genre de pratiques sexuelles violentes, soit le fait que parfois les femmes n'y sont pas consentantes?

Est-ce parce qu'il y a eu Raif Badawi, le blogueur saoudien condamné à 1000 coups de fouet dont on craint tous qu'ils ne le tuent, qu'on ne peut plus regarder même un coup de cravache de la même façon?

Est-ce parce qu'on a lu, lu et relu les histoires d'horreur qui se passent sur les campus américains où apparemment, même en 2015, le consentement éclairé semble beaucoup moins faire partie des acquis de la culture sexuelle que le viol et la violence? Est-ce parce que dans ce contexte, on se bat donc plus que jamais pour faire comprendre à nos propres enfants que le sexe, ça ne doit pas être inégalitaire, ça n'a pas à être violent, ça doit être libre, ce qui rend donc les images et les idées du film difficiles à digérer?

Vous allez être 1857, peut-être plus, à m'écrire pour me dire que je me trompe, que je suis vieux jeu, straight, pognée, plate, certains vont probablement ajouter féministe frustrée à la liste d'injures... Vous allez me dire que je n'ai rien compris.

Pas grave, je m'assume.

Je n'ai pas aimé ce film. Parce que vous me direz tout ce que vous voudrez sur le sexe alternatif, la liberté sexuelle ou je ne sais quoi sur la soumission consentante, je vois difficilement comment cela me ferait changer d'avis : je n'ai pas aimé que ce long métrage glorifie la violence sexuelle. Et c'est ce qu'il fait.

Même s'il y a toujours au moins 50 nuances à faire quand on parle de sexe, parce que ce n'est jamais tout noir ou tout blanc entre deux personnes, dans ce cas-ci, pour le moment - puisque je ne connais pas la suite -, on parle de 50 nuances de violence. Essentiellement.