Un des problèmes majeurs avec la catastrophe ambulante qui s'appelle Rob Ford et qui porte encore le titre officiel de maire de Toronto même s'il fait une pause de campagne électorale et de fonctions officielles pour chercher de l'aide pour son problème d'alcool, c'est qu'il fait tellement de gestes ahurissants que certains se perdent parmi les autres.

Imaginez un maire sortant en pleine campagne pour sa réélection, surpris à dire d'une de ses adversaires à la course à l'hôtel de ville, qu'il ne rêve que de la «sauter».

C'est ce qu'a fait Ford.

Même s'il n'avait pas été en plus ivre ou sous l'effet de la drogue, en soi le commentaire était déjà suffisamment dégradant envers une femme pour remettre sérieusement en question le jugement de tout candidat. Pour demander sa démission, des excuses, un mea-culpa gigantesque.

Si Rob Ford ne nous avait pas tous déjà soûlés avec l'immensité de sa dérive, on en ferait bien plus grand cas. Ce qu'il dit, ce qu'il a dit, est tout simplement intolérable.

Vous rappelez-vous l'ancien maire Rudolph Giuliani à New York, qui avait développé une théorie sur les graffitis, exposant comment les graffiteurs ne sentaient plus de responsabilité personnelle pour leurs tags quand ils se retrouvaient devant des murs déjà couverts de dessins? Selon Giuliani, il fallait donc effacer absolument tous les graffitis chaque soir sur les murs des stations et des wagons de métro de New York, afin que chaque graffiteur se retrouve toujours devant un mur blanc, face à la responsabilité d'être le premier à le tacher.

Avec Ford, on est devant un phénomène semblable. Le mur virtuel où est étalé son manque de jugement est déjà totalement peinturluré. Il dit de nouvelles énormités et on ne les entend pratiquement plus pour ce qu'elles sont individuellement.

Selon les nouvelles vidéos et les derniers enregistrements de ses frasques éthyliques mis au jour par le Globe and Mail et le Toronto Sun, il parle de «viol», de s'en prendre sexuellement à une candidate... Immenses horreurs qui se perdent parmi les photos de pipes à crack et les accolades de personnages douteux.

On a posé la question souvent, mais elle mérite d'être reposée encore et encore. Comment est-ce possible que Toronto ne l'ait pas encore totalement rejeté? Comment est-ce possible que la conseillère Karen Stintz, candidate à la mairie, cible d'un des commentaires horribles, ne demande pas sa démission? Comment est-ce possible qu'Olivia Chow, autre candidate, n'exige pas son départ permanent de la scène municipale?

Que faudra-t-il de plus?

Comment Rob Ford peut-il être encore officiellement maire de Toronto? Il prend de la drogue et a un problème d'alcool marqué au point où il est quasi impossible de croire que cela n'affecte pas son jugement durant l'exercice de ses fonctions. Il profère des propos inexcusables. Vu de Montréal, où les maires démissionnent, où on nous a habitués à ce que les écarts de conduite soient rapidement punis à tout le moins par un exil de la mairie, cette situation est ahurissante.

Vu de Toronto, le portrait de la situation devient plus complexe. Sur place, on comprend que le personnage puisse encore avoir des appuis. Dans la couronne pré-suburbaine maintenant intégrée à la grande ville, comme Etobicoke dont il vient, on s'identifie tellement à son credo de col bleu anti-impôts, anti-gogauche, anti-élite, qu'on est prêt à lui pardonner les pires écarts de conduite.

D'un Tim Hortons à l'autre, j'ai parlé depuis un an à des douzaines de supporters de Ford. Des douzaines de gens faisant preuve de sympathie pour cet homme aux prises avec un problème d'alcoolisme. Chaque fois on disait que tout cela relevait du domaine personnel, rien pour lui enlever ses vertus politiques anti-taxes, et rien, surtout, qu'une bonne cure de désintoxication ne puisse remettre en place.

La campagne de Rob Ford sera-t-elle mise K.-O. par les dernières frasques du maire?

Imaginez s'il revenait sobre, propre, un peu moins bouffi et un peu plus serein de sa retraite.

Si j'étais vraiment désabusée, je dirais que ce dernier épisode de la saga pourrait pratiquement mettre en place les ingrédients nécessaires pour un retour triomphal sur la scène politique dans quelques mois, juste au bon moment pour les élections qui n'ont lieu qu'à la fin d'octobre. À suivre.