L'hôtel de ville de Toronto est un immeuble spectaculaire. Deux tours de 20 étages en forme de croissant qui se font face. De l'architecture de l'époque Mad Men. Saisissant. Lorsqu'on arrive au 2e étage, ces jours-ci, la scène est aussi surprenante et théâtrale.

Il y a les grandes portes vitrées qui mènent au bureau du maire Rob Ford et qui semblent, paradoxalement, offrir la transparence. Il y a, juste à côté, le pèse-personne géant dont Ford se servait l'an dernier pour se peser en public chaque semaine, quand il s'est mis au régime amaigrissant devant toute la population, enjoignant à tous les autres maires en surpoids de le faire aussi.

Et il y a les caméras, les journalistes, ceux qu'il a traités d'asticots à son émission de radio dimanche après-midi - il s'en est excusé hier - qui sont plantés là pratiquement en permanence depuis qu'est sorti il y a 12 jours l'article du Toronto Star où on révélait l'existence d'une vidéo montrant le maire en train de faire quelque chose qui ressemble drôlement à fumer du crack.

Le maire ne parle pratiquement plus directement aux médias depuis la publication de l'article, mais hier après-midi, les journalistes qui attendent quand même inlassablement devant la porte de son bureau ont finalement vu leur patience récompensée: il a accepté de faire un point de presse. Le sujet: le départ de deux de ses proches conseillers, son porte-parole et l'adjoint de celui-ci, George Christopoulos et Isaac Ransom.

Deux gars formidables qui vont avoir une super carrière ailleurs, a expliqué le maire en sortant de son bureau. Et en évitant, de toutes les façons possibles, d'expliquer la raison de leur départ. «Je ne veux pas tomber dans le personnel», a dit Rob Ford à plusieurs reprises. De la même façon qu'il a tourné autour du pot de mille manières dimanche à son émission de radio pour ne pas avoir à dire pourquoi son chef de cabinet, Mark Towhey, avait été congédié et était parti lui aussi vendredi dernier.

Dans les médias de Toronto, on dit que la raison principale de ces départs est le désaccord entre le maire et ses conseillers sur la façon de gérer la crise. M. Towhey aurait notamment dit au maire de faire face à ses problèmes personnels - d'aucuns parlent non pas de toxicomanie, mais d'alcoolisme -, ce que le maire n'aurait pas apprécié.

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Le visage rougi, visiblement très stressé, pas exactement serein, Rob Ford n'a pas parlé longtemps aux médias. Mais il en profité pour s'excuser de ses mots durs à leur égard dimanche durant son émission de radio hebdomadaire. Il n'a pas répété «maggots» (asticots), mais tout le monde savait de quoi il parlait.

Les journalistes sont habitués aux frasques du maire. Et particulièrement ceux du Toronto Star, le quotidien qui a publié le scoop du crack.

Il y a longtemps maintenant qu'ils ne reçoivent plus les communiqués de la mairie et ne sont pas inclus dans ses activités de presse, expliquait hier l'éditeur du grand quotidien torontois, John Cruickshank, lors d'un entretien. Ford a décidé qu'il boudait ce journal.

Selon l'éditeur, M. Ford a une conception fort particulière de la liberté de la presse. Celle-ci s'articule autour de préférences et d'animosités ciblées. On ne vit pas dans un régime de transparence et d'ouverture à la salle de presse de l'hôtel de ville. «Est-ce que vous me demandez si cela fait du mal à la démocratie? Oui, c'est clair», précise M. Cruickshank.

L'éditeur a en outre été particulièrement choqué d'entendre M. Ford et son frère Doug, le conseiller municipal, dire sur un ton méprisant à la radio dimanche que la majorité des conseillers municipaux ne pourraient pas trouver un emploi dans le secteur privé. «En fait, ils dénoncent sauvagement le processus politique au complet», affirme Cruickshank.

Un grave désaveu

Est-ce que tout cela fait mal aux Torontois? À l'administration municipale?

Hier, le maire adjoint Doug Holyday, a dit aux journalistes qu'il aimerait bien que la controverse cesse. «J'aimerais qu'on revienne à la normale, a-t-il déclaré, mais je peux comprendre que cela n'arrivera pas pour un moment. Donc on va devoir prendre les choses une journée à la fois.»

Le conseiller John Parker, un ancien allié, a laissé entendre quant à lui que la situation n'était pas idéale pour la réputation de Toronto à l'extérieur.

Hier, des demandes d'entrevue à près d'une dizaine d'élus sont restées sans réponse. Ou se sont soldées par des refus.

Trop occupés, les conseillers, pour parler à une journaliste de Montréal.

Vraiment?

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Il y a clairement une fatigue qui est en train de s'installer. Un trop-plein. L'ancienne attachée de presse du maire, Adrienne Batra, qui travaille maintenant au Sun, a parlé publiquement de la nécessité d'une pause pour son ancien patron, voire de désintox. Christie Blatchford, du National Post, qui l'a longtemps appuyé, parle aussi de la nécessité pour le maire de prendre du recul. «Se retirer, même si c'est seulement jusqu'à la prochaine élection, pour remettre sa vie personnelle à peu près en ordre pourrait être ce qu'il y a de mieux», a-t-elle écrit.

Un sondage du week-end dit que le maire est encore populaire. Mais voilà qu'il est maintenant question, en plus de tout le reste, d'un lien possible entre un meurtre et la fameuse vidéo du crack.

La suite dans le prochain épisode.