«Je le savais que je l'avais. Je le savais...»

Nadine Laberge avait 39 ans quand elle a appris, comme l'actrice Angelina Jolie, qu'elle était porteuse du gène défectueux associé au cancer du sein. Pas encore 40 ans, deux enfants, un mari, un job de massothérapeute et une vie agréable à Pointe-Claire.

Sur le coup, elle a été choquée. Parce que tout le monde n'arrêtait pas d'essayer de la convaincre que malgré les cancers du sein de sa mère et de sa grand-mère, elle serait épargnée par le triste BRCA1, ce gène qui décuple les risques.

«Mais je le savais que je l'avais. Alors je me suis dit: «OK. Je l'ai. Qu'est-ce que tu veux, c'est ça. On fait quoi maintenant?»»

Nadine a choisi comme Angelina. Elle a pris la décision d'avoir une double mastectomie préventive. Elle s'est fait enlever les deux seins. «C'était la meilleure chose à faire.»

Nadine comprend sans le moindre microbémol le geste de l'actrice. Quand on a de jeunes enfants qu'on veut voir grandir, le choix s'impose. Surtout si on est, en plus, encore jeune et en forme... «Ça n'a même pas été si dur, si douloureux, dit-elle. J'ai eu de la reconstruction. Et pour moi, il n'y a absolument rien de changé. J'ai des seins. Je n'ai pas mal...»

Et puisque Nadine habite le Québec et qu'elle a été dépistée comme porteuse du terrible gène, tout a été couvert par la Régie de l'assurance maladie du Québec. L'ablation. La reconstruction.

Un conseil pour toutes les autres qui se retrouvent ou se retrouveront devant ce choix difficile? «C'est une décision absolument personnelle que chacun prend pour soi. Moi, mes enfants et mon mari m'appuyaient. J'ai fait la bonne chose. Je n'en parle pas tout le temps. Plusieurs trouvent ça radical. Mais voilà, pour moi c'était ça.»

J'avoue qu'en apprenant, hier matin, qu'Angelina Jolie avait eu cette immense opération, j'ai été de prime abord plutôt choquée. Le geste m'a paru au croisement de l'automutilation et d'une volonté de contrôle démentielle sur la vie et la mort. Après les césariennes préorganisées, à la minute près, fichées dans un calendrier entre deux rendez-vous, voilà que Hollywood essaie maintenant de déjouer la mort en lui retirant chirurgicalement ses armes?

Après les seins, on enlève quoi?

On peut retirer le côlon, m'a répondu le Dr William Foulkes, oncogénéticien à l'Université McGill, au CUSM et à l'Hôpital général juif. L'estomac aussi peut être enlevé. Deux autres interventions plutôt rares, dites «préventives», qui permettent de se battre contre les statistiques.

Folie de couper comme ça des parties du corps, de retrancher des organes? Pas du tout. «Ce serait super d'avoir d'autres options pour les femmes, mais pour le moment, bien honnêtement, on ne sait pas grand-chose du cancer du sein...»

La folie serait de ne rien faire. Surtout aux yeux de ceux et celles qui travaillent chaque jour à essayer d'endiguer cette maladie, cette trahison extramaléfique de cellules déraisonnables, dénaturées, qui transforment le corps en champ de bataille digne d'un épisode perdu et pénible de la Guerre des étoiles.

Angelina Jolie a décidé que son corps resterait loin de ces affrontements. Pour faire passer son niveau de risque de 87% à 5%, elle s'est débarrassée de ses glandes mammaires. Sa mère est morte du cancer du sein à 56 ans après s'être battue pendant 10 ans contre la maladie.

Pas envie de vivre ce cauchemar, a expliqué l'actrice.

Toute une décision dans un monde d'apparence, dans son monde d'apparence. Le geste a quelque chose de presque biblique, mythique. On pense aux Amazones, à sainte Agathe de Catane. Le geste est presque sacrificiel. Pour ses enfants, son mari, ses proches, une des plus belles femmes du monde renonce à cette poitrine tant associée à sa beauté...

Évidemment, Mme Jolie a les moyens de faire reconstruire tout ça. Contrairement à bien d'autres femmes qui n'ont pas ses ressources financières, son temps, son réseau, elle a accès aux meilleurs chirurgiens qui pourront remodeler pour elle un décolleté dont la beauté sera sûrement à la mesure du caractère magnifiquement tragique du geste qui a été fait.

On n'en doute pas.

Peut-être même qu'on pourra un jour voir cette oeuvre dans un magazine ou sur un tapis rouge. Malgré toute la générosité et l'humanisme dont fait preuve le couple Jolie-Pitt dans ses choix de vie, et on peut difficilement douter de sa sincérité, l'autopublicité n'est jamais trop loin non plus. Lorsqu'on est aussi célèbre et que toute décision colossale ou banale a potentiellement autant d'influence, la frontière entre l'altruisme et l'autopromotion devient indiscernable. L'un ne peut aller sans l'autre. L'un décuple l'autre...

Peu importe.

Angelina Jolie a rendu public un geste immensément personnel que l'on peut trouver choquant, courageux, troublant, provocant. Peu importe. Comme une véritable artiste, elle nous oblige à réfléchir.